Tabbatha qawmi!

Pour les familiers du Coran, ce titre évoquera un passage bien connu. Bien loin de ce qu’il évoquera pour un chrétien: une parodie de « Talitha Qoumi »

Le point d’entrée dans l’article précédent était l’espace vide du grand tableau des prophéties d’Ésaïe 22. Un verset nous poussait en avant:

Jr 51.31 Un courrier croise un courrier, ils se précipitent, un messager croise un messager,  pour annoncer au roi de Babel que sa ville est envahie de toutes parts

Ce verset constitue le croisement de ministère entre Jérémie et Daniel, paix sur eux. A la destruction annoncée de Babylone est reliée l’affirmation de l’unicité de la Parole divine et donc l’unicité du prophète en fonction. Je reporte le dernier élément ajouté pour constituer le point de départ de ce nouvel article:

L’un des passages les plus connus de Daniel, paix sur lui, est le passage de la main qui écrit sur le mur le destin du royaume. Deux visions s’affrontent: celle d’un roi « chef des magiciens, des devins, des astrologues et des augures » et celle d’un authentique prophète. MENÊ, MENÊ, TEQÊL, OUFARSIN. Daniel, paix sur lui,  explique qu’il s’agit là de l’instant de la pesée des actions en donnant leur sens simple aux mots. Mais  « dénombrer, additionner, comparer et  décomposer » peut aussi évoquer l’explication par la numérologie à base de la guématrie des mots bibliques (que l’on pourrait étendre aux algorithmes de l’intelligence artificielle). C’est surement le genre d’explication qui aurait été plaisante à l’oreille de  ce roi impie. Cela évoque avec une certaine ironie une certaine concurrence prophétique et son obsession des  mesures du Temple.  L’ultime chapitre de Daniel, paix sur lui, évoque le scellement du Livre jusqu’aux temps messianiques du Jugement de la Torah (chap 7: https://www.stephanpain.com/2023/02/24/relever-le-peuple/ ). La tradition rabbinique entérine ce fait puisque la lignée prophétique prend fin avec les « petits prophètes » de retour d’exil qui est la génération suivante.

Il est clair que ce miracle de la main qui écrit est assez déroutant. Nous pourrions aisément le classer parmi la mythologie ajoutée à la Révélation. Considérons que trancher sur la question du prophète en fonction durant l’exil est un exercice périlleux. Le choix de conserver Daniel, paix sur lui, parmi la grande famille des prophètes se fait sur quelques mots trouvés à un instant crucial de l’évangile. Le Messie fait face à ceux qui vont le condamner. Voici la phrase qui va tout faire basculer:

Mc 14.62 Jésus répondit: Je le suis. Et vous verrez le Fils de l’homme (assis) à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel.

L’analyse autour de ce verset est en lien juste au dessus. La première partie est en lien avec le Psaume 110. C’est uniquement les mots «  venant sur les nuées du ciel » qui valident l’entièreté du ministère de Daniel, paix sur lui. Lorsque l’on lit sa fiche, force est de constater qu’il est majoritairement considéré comme un prophète secondaire, voire comme une création scripturaire. Face à lui son rival adepte de la numération est bien plus populaire, bien plus étudié et cité. Il devient d’ailleurs la référence pour le délégitimer comme en témoigne l’hypothèse proposée que je n’ai d’autres choix que de copier ici parce que je ne ferais que la paraphraser: « Il est possible que le nom de Daniel ait été choisi pour le héros du livre en raison de sa réputation de sage voyant dans la tradition hébraïque. Éz , qui a vécu pendant l’exil à Babylone, l’a mentionné en association avec Noé et Job ( Éz 14:14) comme une figure de sagesse légendaire (28:3), et un héros nommé Daniel (plus précisément Dan’el, mais l’orthographe est suffisamment proche pour que les deux soient considérés comme identiques) apparaît dans un mythe de la fin du IIe millénaire d’ Ougarit . « Le légendaire Daniel, connu depuis longtemps mais toujours dans les mémoires comme un personnage exemplaire sert de principal « héros » humain dans le livre biblique qui porte désormais son nom ». » Avouons qu’il s’agit là d’un coup de maître. Il est rapporté que le numérologue serait mort vers -571, au contraire de Daniel, paix sur lui, qui serait mort juste après la conquête par les perses en -539. Daniel, paix sur lui, aurait donc participé au retour en Terre promise et à la reconstruction. Le numérologue est donc mort en exil et son œuvre a nourri le fantasme d’un temple parfait avec un peuple idéal. Nous comprenons que tout est inversé.
Je vous invite à considérer les points majeurs de chaque livre. Le parallélisme entre le tétramorphe et les 4 animaux est évident. Il parait difficile de déterminer qui a écrit en premier. Mais les deux concepts ne sont pas compatibles, voire opposés.
Étant donné que le numérologue est mort avant la mort du roi babylonien, nous pouvons en déduire que sa production textuelle est antérieure à -571. Daniel, paix sur lui, a pu écrire après cette date. Quant au fait que prophètes et faux-prophètes se côtoient, voilà ce qu’il dit:

13.3 Ainsi parle le Seigneur Dieu: Malheur aux prophètes indignes qui suivent leur [propre] inspiration et des visions qu’ils n’ont pas eues.
13.9 Ma main sera contre les prophètes Dont les visions sont vaines et les oracles menteurs;

Ce chapitre 13, entièrement dédié à la dénonciation des faux-prophètes, utilise une métaphore pour décrire l’action des faux-prophètes sur la Révélation: le plâtre sur les murs. Le mot plâtre et ses dérivés revient 6 fois. Le mot main 5 fois.

13.10 Ces choses arriveront parce qu’ils égarent mon peuple, En disant: Paix! quand il n’y a point de paix. Et mon peuple bâtit une muraille, Et eux, ils la couvrent de plâtre.

C’est alors qu’un détail apparemment anodin jaillit du texte de Daniel, paix sur lui:

Dn 5.5 En ce moment, apparurent les doigts d’une main d’homme, et ils écrivirent, en face du chandelier, sur le plâtre (traduit par chaux) de la muraille du palais royal. Le roi vit cette extrémité de main qui écrivait.

D’un coté la main qui est contre ceux qui plâtrent la muraille et de l’autre une main qui écrit sur le plâtre de la muraille. Dans la mesure où les deux hommes se sont côtoyés pendant 20 ans, il parait difficile de croire qu’il s’agit là d’un hasard. Quant à dire que, parce que la main sur le mur apparait au moment où les perses envahissent Babylone, cela situerait le récit,  je ne serais pas aussi affirmatif. Voilà quelle pourrait être ma théorie sur le livre de Daniel, paix sur lui. Le prophète a été exilé lors de la première vague. Il a prophétisé toute sa vie et la majorité de ses textes ne nous sont pas parvenus. La raison est qu’il s’est attaqué au pouvoir. Il parait peu probable qu’il était à la cour du roi. Il devait mener une vie de dissident, toutefois connu pour ses prises de position.  Lui et le numérologue se sont combattu à distance par textes interposés. De retour d’exil, la caste de ceux qui écrivaient l’histoire étaient des partisans du numérologue. Comme ils ne pouvaient effacer la mémoire du prophète, paix sur lui, ils ont fait le choix de diluer sa parole dans des légendes avec un cadre plus ou moins proche du temps de l’exil. Voilà pourquoi les noms de rois sont fictifs et que les évènements ne semblent pas correspondre avec l’histoire connue. Je dirais qu’en ce qui concerne le récit de la main, par exemple, il s’agit d’un rêve illustrant la chute de Babylone. Les rédacteurs ont étoffé en donnant un nom de roi et en situant le récit la veille de sa chute. Ce qu’il faut retenir ce sont les 4 animaux qui symbolisent les 4 empires. Le chapitre 7 est le seul chapitre qui a été conservé tel que la vision s’est déroulé. A elle seule, elle peut justifier d’une vie entière dédiée à la prophétie. Au final, il faut considérer que nous lisons Daniel, paix sur lui, avec un voile devant les yeux. Au contraire de son concurrent, dont le texte n’aurait été que peu retouché et complété par une deuxième partie (chap 33 à 48). Cependant, malgré toutes les réécritures successives, un élément central d’opposition saute aux yeux, si le Temple occupe toute la dernière partie de l’un, il brille par son absence de l’autre. Comme nous l’avons vu par ailleurs, c’est avec le 4ème évangile et l’apocalypse que ce livre possède des thématiques communes, mais pas avec les synoptiques. Paradoxalement, on trouve le concept théologique « Gog et Magog » dans ce livre, repris dans l’Apocalypse. Mais la description donnée ne correspond par à ce que dit le Coran. C’est un peu comme si ces mots avaient été captés par des oreilles indiscrètes et placés dans un contexte pour se donner de la crédibilité.
Pour se donner une idée de l’importance de ce prétendu prophète pour les juifs, il suffit de considérer le nom de la capitale actuelle d’Israël: Tel aviv. Il s’agit du nom de la ville babylonienne où résidait celui-ci repris au début du 20ème siècle pour créer une ville nouvelle.

Afin d’étoffer la réflexion, nous allons dresser un tableau, encore un, qui permet de considérer l’évolution de la prophétie dans Israël et la montée en puissance de ses ennemis depuis l’extérieur jusqu’en son sein. Il ne s’agit pas de rentrer dans les détails mais d’observer une mécanique. Ce tableau s’insère lui-même dans un schéma plus global de la Révélation établi ici: https://www.stephanpain.com/2024/12/16/transfiguration/

Révélation au Sinaï, lettre par lettre
Moïse, psl, guide le peuple.
Pessa’h: émancipation
Rébellion au pied du Sinaï, polythéisme égyptien
Samiri (nom égyptien) clairement identifié comme opposant et chef.
Épisode de Coré: contestation de pouvoir
Nation constituée autour d’une élite pieuse mais exigence d’avoir un roi pareil aux nations. Menace des nations extérieures
Les Rois pieux: altération de leur piété dans les textes rapportés Trahisons et idolâtrie (pactes avec l’ennemi)
Les rois: certains rois sont décrits comme impies Alliances politiques
Élie et Élisée: prophètes dominateurs (récits altérés par endroits) Culte de Baal « officiel »
Désacralisation de l’Arche: point de bascule entre les périodes grasses et maigres
Jonas (tentative de fuite) « Ninive » (grande ville étrangère) se repent (ouverture vers les nations)
Ésaïe (alternance de chapitres de ses textes avec des chapitres de chroniques ) Culte du soleil (en tant que représentation monothéiste: syncrétisme) à la cour
Jérémie persécuté et concurrencé à pied d’égalité par de faux prophètes à la cour. Ses textes sont dilués. Introduction du Deutéronome: altération majeure de Pessa’h
Le nom d’un de ses persécuteurs apparait comme l’un des livres du canon biblique.
Daniel: sa vie nous apparait comme appartenir à la légende. Quelques éléments sont repris et intégrés dans de la prose très tardive. Le faux-prophète « ringardise » son adversaire. Son livre est bien plus conséquent et riche.
Ajouts de nombreux chapitres au livre des Nombres (donc de commandements)
Esdras n’est qu’un simple guide. culte sous contrôle politique. Les scribes réécrivent le « narratif ».
Nombreux « petits » prophètes
L’existence des prophètes ne nous est plus rapportée (ils sont pourtant présents et se succèdent sans interruption) Des injustes prennent le pouvoir par la force en instrumentalisant la foi. Ils font écrire leurs chroniques.
Beit Hillel (école rabbinique) prépare la venue du Messie.
Les Justes sont  pour la plupart dans la clandestinité
Élaboration d’un recueil de poèmes autour de la sexualité qui finit par être intégré dans le canon.
Les injustes sont gardiens de la foi.
Scission messianique Contre-révélation intégrée au corpus dès l’origine. Une religion se crée en mêlant l’héritage religieux grec.

 Point sur les « petits prophètes »
– point sur les citations liées au livre 23 du canon rabbinique (« petit prophète » 11/12):
Za 9,9: Le Messie a choisi de monter sur un âne pour entrer dans la cité en référence à l’entrée de Salomon, paix sur lui, 1 Rois 1.33-38-44.
Za 11.12–13: la connexion parait bien ténue/construite par l’auteur pour être pertinente.
Za 12.10: verset déjà traité et retraduit correctement: https://www.stephanpain.com/2025/01/07/mes-os-et-ma-chair/
Za 13.6: les liens sont avec le dernier livre du corpus chrétien
– Jl: extrapolation à partir d’écrits antérieurs

Nous observons clairement l’inversion totale au cours de ces 1200 années. De dominateurs et guides, les prophètes ont fini par disparaitre totalement de l’espace public. Les injustes, au départ frontalement opposés à la foi monothéiste, en sont devenus les gardiens à l’aube de la période messianique. La période messianique est une sorte de nouveau départ. Or, nous ne pouvons que constater que le corpus néo-testamentaire est corrompu quasi dès son origine. Ce qui sauve l’Église, c’est qu’elle n’est pas fondée sur un corpus, mais sur l’Esprit. La corruption des textes est donc inefficace. Par contre, la corruption de l’Esprit existe et force est de constater qu’elle est à l’œuvre de nos jours. C’est bel et bien au nom des évangiles que le clergé corrompu dilue la foi dans le monde. L’inversion est beaucoup plus subtile. On confond tolérance et laxisme, voire promotion du péché. Liberté et rébellion. Fête et débauche.  Égalité et nivellement par le bas. Culture universelle et déracinement.

Dans un article précédent, basé sur la configuration de la Transfiguration, nous en avions déduit que la période faste de la Torah prenait fin avec le duo Elie-Elisée, paix sur eux. En observant le tableau, on peut en effet constater qu’il y a un point de bascule à ce moment là. On peut aussi se référer à la personne de Zacharie, lapidé au Temple mentionné également dans l’évangile en place de la désacralisation de l’Arche, comme point de bascule. https://www.stephanpain.com/2025/01/03/un-temps-pour-tout/ . Nous convergeons donc à la fin du ministère d’Élisée, paix sur lui. Des miracles, ainsi que des points du récits posent problèmes, mais en considérant l’ensemble, mon attention s’est porté sur un élément en particulier. Il s’agit du dernier miracle. Un homme est ressuscité en touchant les os du prophète. Ce serait cet élément très particulier le point de bascule d’une période faste à une période de déclin. Deux choses essentielles viennent d’être atteintes: la corruption des textes en attribuant un faux miracle, et surtout le don de la vie qui est un attribut exclusivement divin. Lorsque nous listons les miracles de résurrection de la Bible, nous constatons qu’il s’agit toujours d’enfants. Que ce soit pour Élie, Élisée, le Messie si nous rejetons la résurrection d’Uzayr, ce sont des enfants. La raison est simple à comprendre: les enfants ne sont pas responsables religieusement parlant, ils sont sous la responsabilité de leurs parents. C’est donc bien la foi de leur parents qui entre en ligne de compte pour la réalisation du miracle. Il existe une polémique sur la question de la foi dans les miracles de guérison. Certains affirment que seul la foi du guérisseur compte, tandis que les autres affirment que le guéri doit avoir la foi. Il est clair que la foi doit être partagée par l’un et l’autre, sinon il ne s’agirait que de magie. Dans le cas particulier de la résurrection, le mort ne peut pas témoigner de sa foi. Voilà pourquoi cela ne peut marcher qu’avec un enfant. Le miracle des os d’Élisée est donc une invention. Nous pouvons en déduire que le culte des reliques est illégitime. Nous n’apprenons rien de nouveau ici et nous devons nous tourner vers le livre des Actes. Une véritable démarche « sola scriptura » devrait mener à avoir un regard très critique à l’égard de cette chronique partisane. Dans ce livre, il y a deux miracles de ce type. L’un concerne l’Apôtre des nations: je ne vais même pas commenter. L’autre concerne Pierre. Selon moi, la femme pieuse a réellement existé et est tombé gravement malade. Pierre a été la visiter et a invoqué la guérison. Signalons que le lieu de ce récit autour de cette femme pieuse a lieu à Jaffa, que Tel aviv a englobé. Si Tel aviv est un nom babylonien, tell est un mot arabe que l’on retrouve partout en Israël, surtout lorsque l’on s’intéresse à l’archéologie. Tell désigne des ruines. La radicalité du changement d’état s’est mué dans la bouche de certains comme une résurrection et l’auteur s’est engouffré dans la brèche. Ce qui va nous donner la clef de compréhension est le nom de la femme: Tabitha. Ce nom est bien trop similaire à celui de Talitha, enfant ressuscitée par le Messie, pour être un simple hasard. En tapant le nom pour effectuer les recherches, le mot « tabat » m’est venu subitement en tête. La sourate al masad comme une évidence.

Tabbat yadā abi lahabin wa tabb.
Que périssent les mains du père des flammes, et qu’il périsse.

Sourate 111, pour les amateurs de numérologie (ceci est une blague privée). Je comprenais alors que je tenais là le titre de cet article. Il ne me restait plus qu’à le composer selon une logique implacable. A la manière de la transformation de l’Esprit RoWH en la Miséricorde RaWH dans le verset 12.87, nous transformons le QoWMi, se lever, en QaWMi, le peuple. Talit, le vêtement, devenait Talitha, celle qui porte le vêtement. https://www.stephanpain.com/2024/10/15/talitha-qoumi/

Tabbatha qawmi: Le peuple (condamné) à périr!

Paix sur les âmes de bonne volonté.