La première partie de ce texte a été écrite le 11 avril 2024. J’avais enfin réussi à m’y mettre après ces quelques années tout en ayant évoqué le sujet dans divers articles. Toutefois, je n’avais pas réussi à accoucher de la deuxième partie. Or, à présent que nous sommes passés de l’autre coté, cela est plus facile et vient éclairer d’un jour nouveau les évènements récents relatés dans « Frère Jacques ». Ce texte fait parti d’une trilogie composée ainsi: Dernier envol, Interstelas, Frère Jacques.
La nouvelle est tombée brutalement comme ça, un dimanche, par texto. La mort parfois, ça ne prévient pas. Ça vous prend sans vous demander votre avis. Lui, il avait 35 ans et la vie devant lui. De nous 5, c’était bel et bien lui qui avait le mieux réussi sa vie. Il était parvenu à concilier ses passions avec sa carrière. De loin, je l’avais vu devenir pilote d’hélicoptère, partir aux 4 coins du monde. De loin, car le fait est que nous n’étions pas proche. Vous savez, j’ai débarqué dans la famille en cette fin d’année 2000. J’ai du apprendre cette famille sur le tas. Mais, vous savez, on ne rattrape jamais 27 ans de vie. Et pour rattraper le temps perdu, il convient de mettre les bouchées doubles. Ce fut loin d’être le cas. Alors est-ce que c’est une sorte de solidarité d’avoir été dans une situation similaire mais pas aussi extrême que la mienne qui a poussé Erik a tisser des liens avec moi pendant la première décennie de ce siècle? Peut-être. Depuis ma conversion en 2012, les choses ont changées. Être la pièce rapportée ne rapporte plus. Il y a bien eu un instant où mon exaltation a généré une dynamique. Mais le poids du Livre l’a emporté. On aurait pu croire pendant quelques temps, qu’il s’agissait là de s’ouvrir au monde, de le sublimer, d’arpenter toutes les voies spirituelles. Mais le Livre, ce n’est pas cela. Si effectivement le Livre contient le monde, c’est surtout pour s’en prémunir. Il y avait donc une confusion, une mauvaise interprétation. Alors oui, dans la sourate Sad, il est bien question d’admirer les belles choses de ce monde comme des bienfaits de notre Créateur. Mais l’admiration, dans le coeur des hommes, se mue généralement en adoration. Et l’adoration des choses ne cadre pas avec les enseignements du Livre. Donc oui, pour un temps, l’illusion a été entretenue. Mais ma mère a entamé sa chute. Son équilibre psychologique précaire conditionné à mon silence venait de se rompre. Le cauchemar qui a suivi a réellement pris fin qu’au moment de sa mort. Elle était enfin libérée de ce monde, de cette prison mentale qui la faisait tant souffrir. Si cela fut une libération pour moi, cela signifia également un nouveau péril. Car le moment de sa mort, c’est aussi la confirmation du terrible secret sur ma naissance. Si elle avait décidé de se laisser mourir pour éviter de parler, la vie, elle, avait été plus bavarde. On pourrait croire qu’accéder à la vérité allait me soulager. L’ennui ici, c’est que personne dans la famille, n’a accepté cette vérité. Cela leur était tout simplement inconcevable. Et ce, quelque soit les efforts mis en œuvre pour les convaincre. Pour moi, c’était la double peine. D’une part de vivre avec ce poids d’être l’incarnation du péché et de l’autre de n’avoir pas le droit d’en parler. La bascule a été à l’été 2015. Quelques temps plus tard, le patriarche prenait la mer, direction les iles, pour ne plus revenir en métropole. Le fil ténu qui nous retenait l’un à l’autre, venait de rompre. Apprendre à vivre sans père, pour ma part, n’avait rien d’original. Juste le retour à un état antérieur. Je vous le dit, il y a des choses qui ne se reconstruisent pas. Alors, quand j’entends parler de ces histoires de couples qui désespèrent d’avoir un enfant, quelque soit la raison, et qui vont l’acheter à l’autre bout du monde, ou qui vont le faire faire par une pauvre, ou qu’ils planifient à l’avance qui des deux parents va être effacé pour toujours, ça me met hors de moi. Toujours les mêmes explications. Le droit d’avoir un enfant. L’amour ça efface tout. Et après tout, il y a tant de parents normaux maltraitants. Le raisonnement par l’absurde, voilà tout ce qu’on nous propose pour disposer de la vie d’autrui. Il s’en trouvera toujours pour témoigner de leur vie parfaite avec des parents épanouis. En utilisant leur logique pervertie, nous pourrions argumenter sur le fait que des enfants de couples mafieux ont vécu une enfance heureuse. Si le bonheur est conditionné par le confort matériel, toutes les cases sont cochées. Bref, d’autres en parlent bien mieux que moi.
Il me semble que c’est la même année que Julien est parti pour le Japon. Est-ce que tout cela est lié? Je n’en ai aucune idée. Je n’étais plus en contact avec lui depuis pas mal d’années à ce moment là. C’est là-bas, dans ce pays à l’autre bout du monde, un dimanche, que sa vie s’est arrêtée. Il est parti faire de l’apnée dans la mer. Tout seul. On ne saura jamais pourquoi il s’est retrouvé coincé là. A cette époque, nous étions encore dans le cauchemar du virus. Les règles sanitaires en place étaient strictes. Pour rapatrier le corps, une période de quarantaine était imposée. Pénible, certes, mais pas insurmontable. La décision fut rapidement prise qu’il allait être incinéré dans les jours suivant. C’est la norme au Japon. Une fois réduit à l’état de poudre, plus personne ne vous ennuie à la frontière. Personne ne m’a demandé mon avis sur la question. J’ai été informé de la chose. C’était déjà pas mal. En ce début d’automne, j’étais encore à la grange. On n’y capte pas très bien. Parfois, lorsque quelqu’un m’envoie des photos par MMS, les données sont altérées et je dois demander un nouvel envoi, en espérant être mieux placé, si le message n’est pas corrigé automatiquement après un certain temps. Ce soir là, je recevais donc un texto vide avec un fichier joint, mais rien ne s’affichait. J’attendais donc que le contenu apparaisse. Ce n’est que tard dans la soirée, que je comprenais que le fichier joint était en réalité un fichier texte. Je l’ouvrais. Il s’agissait du déroulé de la cérémonie de crémation. Elle était sur le point de commencer et allait se dérouler toute la nuit. Erik tenait à y assister, mais à cette heure-là, son téléphone était déjà éteint. Il avait également reçu le même message et de la même manière que moi, n’avait pas accédé au contenu. La cérémonie allait donc se dérouler sans lui. Mais pourquoi ce fichier joint? Il aurait suffit de copier le texte dans un simple message. C’est ainsi que les choses sont écrites.
Vers deux heures du matin, je lance le flux vidéo. Je me retrouve avec le visage du mort sur l’écran. Le choc. Je le reconnais à peine. Il a beaucoup changé ces dernières années. Il n’était plus cet adolescent attardé un peu bourru que j’avais connu. De ce que j’ai lu plus tard à son sujet, les gens disaient de lui qu’il s’était enfin épanoui depuis son départ. Son amie tournait autour de lui en pleurant tandis que des gens défilaient dans la pièce. Assister à ce genre de scène en personne est pénible, mais généralement, on ne focalise pas son regard sur le mort. On le regarde de temps à autre, mais c’est surtout un temps de partage avec les autres personnes présentes. Même si on ne communique pas, on ressent la présence. Ici, rien de tout cela. Je suis en permanence rejeté à ma solitude face à cet écran à la terrifiante image. A se demander, s’il ne vaudrait pas mieux s’abstenir. Les moyens modernes permettent de grandes choses, mais là nous sommes hors limite. J’ai du faire une pause. La cérémonie a duré une bonne partie de la nuit. L’heure de la prière de fajr est arrivée. Au moment où le cercueil était convoyé à l’intérieur de la machine, je coupais la retransmission pour effectuer le rite. La nuit s’achevait ainsi.
Fin de la première partie. La suite est rédigée le 30 mai 2024.
Pour l’instant, je ne vais pas modifier la façon dont j’ai rédigé cette première partie. J’y ajouterai des éléments oubliés ou des corrections mineures, mais il me semble important d’en préserver l’ambiance originelle antérieure à la période actuelle qui a tout bouleversé. Vous comprendrez au travers du texte, pourquoi je n’arrivai pas à la rédiger. Mes réticences d’alors paraissent bien futiles. Pour des raisons de narration, je vais exposer un fait important qui s’est déroulé par la suite. Lorsque la question de l’héritage de Julien est venu sur la table, il a proposé que nous donnions tous une part à sa concubine japonaise car légalement elle n’allait rien hériter. Il s’attendait à ce que nous fassions le geste. Il n’en a rien été. Avec le recul, il m’apparait évident qu’il en a gardé de la rancune à notre égard et qu’il entendait bien nous donner une leçon par delà la mort. De mon point de vue, je n’étais pas opposé à cette idée, mais j’avais un blocage indépassable: à aucun moment je n’ai pu apercevoir cette femme lors de la cérémonie de dispersion des cendres. Il m’aurait suffit d’un simple regard. La vie tient parfois à peu de choses.
Deux semaines sont passées. C’est donc vers la mi-octobre qu’est prévu la cérémonie de dispersion des cendres. Nous sommes donc dans la continuité de la crémation, à savoir une cérémonie qui s’affranchit de tous les codes liés au monothéisme, dont la plupart des protagonistes n’ont que faire. Julien était un homme ambitieux et brillant. Il avait vécu dans divers endroits du monde et s’était adonné à diverses activités sportives nécessitant du travail et de la concentration. L’une d’elle, la plongée en apnée, l’avait donc mené à la mort. Parmi ses activités, l’une d’elle était liée à une région qu’il affectionnait particulièrement: Toulouse. Il y avait une foule d’amis et y pratiquait le planeur. C’est donc tout naturellement que ses proches choisirent cette passion pour la connecter à sa mort. Il s’agit ici pour les gens qui honorent la mémoire du défunt de célébrer la vie de la personne disparue. Il s’agit donc de se tourner vers la vie et non la mort. Ils pensent en cela s’opposer aux croyants qui préfèrent célébrer une cérémonie religieuse, qui peut paraitre austère ou bien trop solennelle, mais qui mettra tout le monde sur un même pied d’égalité face à la mort et qui célébrerait cette dernière. C’est qu’en réalité, si les croyants ne célèbrent pas la vie d’ici-bas, c’est tout simplement parce qu’ils célèbrent la vie à venir dans la connaissance pleine et entière de notre Créateur. C’est incomparable. Aussi, se concentrer sur des pratiques rituelles d’inhumation qui ont plusieurs millénaires est un moyen de s’affranchir des divergences de chacun et ainsi pouvoir se concentrer sur notre rapport au passage de la vie d’ici-bas à celle de l’au-delà. Les rituels institués avec le temps offre un cadre propice. Ce n’est pas le moment de chercher la divergence à un moment où les gens sont vulnérables à la moindre remarque déplacée.
Me voilà quelques jours en avance dans la région. Je profite d’être dans une grande ville, moi qui vient de mon Cantal profond à ce moment là de l’année. Avant de partir, à la maison paroissiale, j’avais mis le sujet de la crémation dans le cadre de la foi sur table. Les réactions étaient partagées. Une partie des catholiques s’imaginent que c’est une bonne chose de s’ouvrir au monde moderne et condamnent ceux qui s’opposent à la crémation pour des raisons obscures de volonté divine. Il faut savoir vivre avec son temps diront-ils. Je crois que tout est dit. Je ne vais pas vous faire un dessin. En la matière les juifs et les musulmans n’acceptent guère le compromis sur le sujet tant il est central. La conclusion s’impose d’elle-même: le vivre-ensemble a des limites et le rapport à la mort n’accepte pas de compromis. C’est alors que chacun peut observer qui est réellement tolérant. Nous constaterons que dans nos sociétés occidentales, lorsqu’il s’agira de trancher sur le sujet de la crémation, il y a peu de chance que la personne qui s’y oppose puisse être entendue puisque largement minoritaire. Il existe bien une démarche légale qui consiste à demander l’arbitrage d’un juge, mais à mon humble avis, il ne s’agit que de reculer pour mieux sauter.
Cela faisait depuis 2015 que je n’avais plus de nouvelles de Jacques. Depuis ce matin là où je lui avais annoncé la mort de ma mère. Je m’étais donc éloigné de la famille de fait et ne m’attendait pas à être accueilli à bras ouverts y compris dans de telles circonstances. J’arrivais donc sur le petit aérodrome alors qu’un grand nombre de gens étaient déjà sur place. Embrassade d’usage. Chacun tente de rester digne et respectueux. Il ne s’agit pas d’alimenter les polémiques. De mon point de vue, c’est un peu la double peine. Je suis censé être en deuil d’un frère, mais ce frère en question je ne l’ai que très peu connu. La majorité des gens présents sont donc bien plus en peine que moi. Je ne me sens pas donc légitime à revendiquer quoi que ce soit. J’ai rencontré Julien comme le reste de la famille en 2001. J’avais donc 27 ans. L’occasion d’une unique séance photo où nous apparaissons tous les 6. Même si tout cela semble bien artificiel. Je ne reverrai Erwan que deux ou trois fois, sans lui parler vraiment. Quant à Julien, je l’ai vu de la même manière lors de réunion de groupe. Je n’ai jamais vraiment discuté avec lui. C’est ainsi, il faut accepter. Je m’étais construit comme un enfant unique d’une mère divorcée. Eux étaient une vraie famille, avec une histoire riche, avec ses hauts et ses bas. Notre assemblage ne pouvait donc pas fonctionner. Pas aussi tardivement. Ils demeurent donc comme de lointains cousins que l’on voit lors de réunions de famille.
Depuis maintenant 6 ans que ma mère était morte, je comprenais bien que mon seul espoir de connaitre le mystère autour de ma conception ne reposait plus désormais que sur les épaules de Jacky. Je comprenais que la mort de Julien était un évènement majeur et que c’était là la dernière occasion pour lui de régler ses comptes avec moi. Il savait que je voulais savoir et que ce n’étais pas négociable. Je suis bien conscient que mes pensées en pareil moment était quelque peu égoïste mais selon moi, face à la mort qui venait de détruire une relation solide entre un père et son fils, il me semblait que c’était là la meilleure opportunité de reconstruire une autre relation, entre lui et moi. Avec le temps qui défilait, je faisais face à la réalité. Ce scénario n’allait pas advenir. Ce n’était pas le deuil de Julien que je devais faire ici mais le deuil de ma conception. En serrant les dents, je n’ai mis la pression à personne de la famille. Du moins, c’est ainsi que je le vois. J’ai fait ce que j’ai pu. C’est donc face à quelques amis de Julien que je craquais. Ils avaient voulu discuter. Alors j’ai parlé. Voilà, c’est tout. Cela n’a pas duré longtemps. Ils se sont éloignés et tout est rentré dans l’ordre. La peine n’a pas été ajoutée à la peine.
Il y avait un absent notable: Erik. Il était sur la route pour venir. Il avait du se libérer au dernier moment à cause de son travail et faisait son maximum pour être là. C’est alors que Monique, la mère de Julien, face à un groupe d’invités d’amis et de la famille, s’exprima tout haut sur le sujet brulant de la crémation. « Ils ne vont pas nous prendre la tête, ceux-là! » Elle faisait référence aux croyants et tout spécifiquement à Erik. Elle ignorait ma conversion à l’Islam car j’étais très proche d’elle à ce moment là. J’étais vraiment choqué. C’est donc cela cette fameuse tolérance des athées? Les masques tombent. Comprenez bien que je n’ai rien contre cette femme spécifiquement. Elle n’est qu’une parmi tant d’autres. Elle ne faisait qu’exprimer tout haut cette formidable scission entre les deux groupes. Cette scission n’accepte donc pas le compromis. Moi, dans ma tête, je prenais Erik, le catholique pratiquant qui a choisi de déménager pour Paray, ville de pèlerinage, pour un allié dans la foi. Aussi, je m’imaginais que ce retard était une miséricorde du Créateur à son égard pour lui épargner l’épreuve d’assister à cette cérémonie de dispersion des cendres depuis un planeur. Quant à moi, ma position sur le sujet était claire: je me devais d’être présent par respect pour la famille mais j’avais pris la décision ferme de m’écarter du groupe au moment du décollage du planeur. L’aérodrome étant grand et le nombre de gens présent conséquent, personne ne pouvait remarquer mon absence momentanée.
Erik n’était toujours pas arrivé lorsque la décision fut prise de procéder à la cérémonie. La foule se déplaça donc vers la zone de décollage. Je m’éloignais vers l’un des hangars. Vide. C’est alors que je vis la voiture d’Erik apparaitre. Dans ma perception de croyant, selon mon point de vue bien entendu, je le prenais donc pour un allié et me dirigeait en ce sens pour l’accueillir. Il descend de la voiture, passablement énervé. Il est furieux que la cérémonie ait commencé sans lui alors qu’il a maintes fois prévenu de son arrivée. Lorsqu’il arrive vers moi, il me repousse vivement. Je suis incroyablement blessé par ce geste. Mais, il y a une part de jalousie en moi puisque face à cette situation je n’ai rien trouvé d’autre à dire que: « C’était son fils préféré qui est mort. » Voulais-je dire par là qu’il était puni de m’avoir ainsi délaissé? Peut-être. Cette phrase pouvait aussi être perçue comme incroyablement violente. Ce n’était certainement pas ce qu’il fallait dire à ce moment là. A une violence répondait une violence? Surement. Je suis donc mal placé pour juger.
Dans les secondes qui ont suivi, Monique est arrivé. La cérémonie venait juste de se terminer et elle s’était précipité pour aller à la rencontre d’Erik. Elle me remarqua alors et compris que je n’y avais pas assisté. Elle dit alors: « Tu étais trop touché pour regarder ». Elle venait de se rattraper de sa déclaration précédente en ayant le bon soupçon à mon égard. Mais non, ce n’était pas parce que j’étais trop touché mais uniquement pour une question de conformité aux prescriptions d’Allah. C’est Lui qui aura toujours le dernier mot en la matière.
A partir de ce moment là, je ne rentrais plus en interaction avec les gens. Je restais là à regarder. Toute la journée avait lieu des baptêmes de planeur. La priorité était donnée aux proches de la famille. Pour des questions de cohérences, je reliais ces baptêmes avec la cérémonie de dispersion. Il était donc pour moi impossible de participer, et ce, même si j’étais prioritaire. La journée touchait à sa fin. Erik montait donc dans un planeur en faisant valoir son statut de frère. Il ne se posait certainement pas autant de question à ce sujet.
Le ciel a commencé à rougeoyer. J’étais alors dans la zone d’envol. Au fond de moi, j’aurais rêvé vivre cet instant. Je m’étais coupé de la famille en réalité. Coupé du monde. Je savais d’une part que l’occasion de voler en planeur ne reviendrait pas de si tôt et que je n’en avais jamais fait et d’autre part que ce vol était étroitement lié à ma perception de la mort de Julien et de ma connexion avec cette famille.
Les pilotes annoncent les derniers vols. Quelques personnes sont présentes. Deux personnes peuvent ainsi demander à monter à bord et vivre cette expérience. Un lointain ami de Julien et moi. C’est alors que j’entends l’homme de la tour de contrôle qui parle à l’un des pilotes par la radio: « C’est vraiment magnifique, celui qui va faire ce dernier vol du coucher de soleil va vraiment adorer! »
Un instant de flottement. L’ami se manifeste. Il est pris en charge par l’un des pilotes pour s’équiper sous mon regard. Je n’ai d’autre choix que de m’éloigner en me disant que je ne dois pas éprouver de regret, que je dois pleinement assumer mon choix. Je me dirige donc vers mon camion. L’heure du coucher de soleil correspond à l’heure de la prière. Je me dirige donc vers les toilettes pour faire mes ablutions. En mon coeur, je pense faire ce qui est juste. Quelques mois plus tard, en participant à l’enterrement du frère de la communauté de la Famille missionnaire de Notre-Dame des neiges, je comprends que je viens d’achever cette cérémonie. https://www.stephanpain.com/2022/05/04/2-femmes/
Arrivé à ce moment là de l’écriture de ce texte et pour conclure, je me rappelle d’une image liée à mon enfance avec ma mère dans cette chambre à coucher dont nous partagions le lit dans cet appartement insalubre.
Il y avait la maquette d’un planeur sur le plafond au-dessus de ce maudit lit.