Modification 9/2/24: voir analyse du film
Modification 4/6/24: randonnée à Pagax
Il est environ minuit et demi lorsque je m’enfonce dans la nuit noire. Les premiers mètres sont un peu difficiles à cause des cailloux et des racines qui entourent la maison. Plutôt que de prendre au plus court, je préfère marcher sur le goudron. Ma seule lumière provient de mon téléphone, mais la journée va être longue, il me faut à tout prix économiser sa batterie. Aussi je progresse au milieu de la route. Il n’y a personne à cette heure là. J’ai parcouru une centaine de mètres alors que j’arrive au virage en épingle. C’est alors que le sol se dérobe sous mes pieds. En effet, il y a un cours d’eau qui passe à cet endroit et le bas coté est bétonné pour canaliser l’eau le long de la route. Plus de peur que de mal. Je n’ai pas d’autre choix que d’allumer ma lampe pour effectuer la descente jusqu’à la route qui longe la rivière: les bords de la route qui serpente dans la montagne sont trop peu éloignés. Une demi-heure de descente à voir le pourcentage grignoté. Me voilà sur la route. Elle est beaucoup plus fréquentée bien sur, mais à cette heure-ci et par ce froid, les gens sont chez eux. Comme la route est beaucoup plus large, il est moins dangereux de marcher en plein milieu. J’entends les rares voitures arriver à plus d’un kilomètre de distance. Cela me laisse le temps de m’éclairer et de me caler sur le coté. Au bout d’une heure de marche, me voilà au village alors qu’en passant par le chemin il m’aurait fallu 20 minutes. Il n’est pas bien grand, mais le simple fait d’avoir de l’éclairage et des trottoirs pendant quelques dizaines de mètres est un grand confort avant de replonger dans le noir d’une route bordée de fossés. Cette route, je l’ai faite tant de fois en voiture. Je la connais presque par coeur. Ces grandes lignes droites reposantes pour la conduite, je les vois d’un tout autre oeil. Après un long moment, je parviens au grand axe qui relie le département avec ses voisins. Je décide de faire une pause après le pont. Je commence à avoir mal aux genoux. Ce sera la seule pause du trajet. Mon téléphone me renseigne sur les horaires des cars, ainsi que du temps qu’il me reste à marcher. Je n’espère pas sur du stop. Pas à cette heure-là. Il faut juste garder le rythme. Pas se poser de questions. Plus la ville se rapproche et plus il y a de véhicules, mais il y a aussi plus de lumières et d’endroits pour se protéger. Cela aide à supporter la douleur qui monte. Je suis habitué à la randonnée. 23 km est une distance raisonnable, et ce d’autant qu’il y a peu de dénivelé. Mais le goudron, si il est appréciable sur de courtes distances pour son adhérence et sa stabilité, se transforme en séance de torture de par sa dureté.
Pour atteindre le centre-ville, il faut se lancer dans une dernière montée. Les minutes s’égrènent implacablement. La douleur est insoutenable. Mais il est impossible de faire une pause. Il est 5h55 lorsque je parviens à la place centrale de la ville d’où partent les autocars. Délivré. Attentes, covoiturages, kilomètres, fatigue, encore plusieurs bus avant de pouvoir arriver à destination. Quelle journée!
Les douleurs ont duré près d’une semaine. Il ne s’agit pas ici de se plaindre. Si ce récit décontextualisé sert d’introduction, c’est parce que sa rédaction, à exactement un an de décalage, participe du processus d’assimilation. En effet, j’aurais très bien pu me débrouiller autrement et que l’instant soit moins douloureux, mais il était essentiel pour moi d’inscrire dans ma chair ce déplacement. Il ne fallait pas que ce soit juste un départ comme tous les autres. Il fallait que j’achève le travail de séparation d’avec cette fête païenne. J’avais accepté à la condition de ne pas faire de cadeaux et de ne pas en faire une célébration religieuse. Mais c’était une posture hypocrite de ma part et les événements m’ont démontré qu’un conflit ouvert était déclaré entre le ciel et moi.
Montée
Nous sommes alors le 27 décembre 2022. Je ne le sais pas encore, mais la période cauchemardesque des dernières trois années vient de prendre fin (J’ai produit 10 articles entre mars 2020 et décembre 2022, seuls 2 en 2022 traitent de théologie de manière profonde). L’année 2023 est un véritable ouragan. Elle débute avec la polémique autour de Dieudonné. De mon coté, dans la prière l’énergie reçue monte en puissance tandis qu’un regain d’inspiration dans mon travail m’amène dans des recoins encore inexplorés de la Révélation. Pas besoin d’en parler puisqu’il suffit de parcourir les articles et de constater l’évolution au cours des 6 premiers mois. Pourim, un article majeur ( https://www.stephanpain.com/2023/03/07/pourim-fest-1444/ ). A la messe, je me mets à trembler de tout mon corps. L’énergie qui me traverse est insupportable. Pourtant l’expérience est addictive. Rien que de ressentir une montée dans son corps pendant la première partie qui annonce ce qui va se passer durant l’eucharistie est bouleversant. Revenir au réel parait parfois insurmontable. Il le faut bien pourtant, tant qu’il s’agit de continuer à évoluer en ce bas-monde. Nous sommes encore à l’heure d’hiver lorsque le Ramadhan débute. Je n’ai rien de particulier à raconter de ce moment. Je me souviens nettement de ce fantastique moment où je me suis mis à vibrer à la mosquée Ibn Badis de Nanterre. Je ne saurais le situer temporellement au cours de ces 6 mois. Était-ce durant le mois de jeûne, ou bien à une autre période? Aucune idée.
Mes recherches me mènent à une stèle égyptienne. On peut clairement y lire le mot Haman. Je viens d’achever le travail entrepris par le docteur Bucaille. Une preuve matérielle de l’authenticité du Coran pour l’humanité. Tout le travail de ces derniers mois débouche sur l’explication de la Seconde Paque. L’événement est si important que je n’ai pas d’autre choix que de renommer ce site. Nous sommes à la mi-mai. Ce sera le dernier article en ligne pour les mois à venir. Un article reste en privé, il traite d’une autre stèle, en rapport avec la connexion entre les filiations d’Israël et celles des pharaons. Le sujet est complexe et fait appel à des compétences que je ne possède pas encore. Cette stèle reste donc en suspend. Il est temps de quitter la région parisienne. C’est chose faite début juin. Cela fait des mois que j’ai en tête d’aller la communauté monastique bourguignonne. Je n’y suis pas allé depuis 2020. Ma motivation est d’autant plus grande que j’ai hâte d’expérimenter le flux divin dans ce cadre si particulier. Samedi 10 juin. L’office du soir, tant attendue par toute la communauté et les internautes, commence.
Off
Là-bas, il y a les horaires officiels, ce qui est diffusé en direct sur internet, et puis il y a ce qui se passe lorsque le gros des troupes est parti et que les caméras sont coupées. Un noyau dur se tient sur une des ailes du Temple. Et voilà qu’ils invoquent l’Esprit. Et l’Esprit descend sur nous. Terrible moment. Les bras pris de tremblement. La cage thoracique en feu. Que n’ai-je les mots pour décrire cette sensation? Les mots paraissent si dérisoires. Et ce, d’autant qu’elle ne ressemble à rien d’autre. Ce n’est ni de la douleur, ni du plaisir. Cela ne rend pas joyeux, ni triste. C’est juste quelque chose d’extrêmement puissant qui soumet entièrement, corps et âme.
Le lendemain, je m’attend à une expérience équivalente à la messe du dimanche. Que nenni. J’ai beau me dire que je n’ai aucun contrôle, que l’expérience n’est pas systématique, qu’elle ne dépend pas de mes agissements ou des circonstances, il n’empêche: lorsque le flux est absent je demeure terriblement frustré. Mais bon, si il faut apprendre à vivre avec, il faut aussi apprendre à vivre sans. Je me suis toujours posé énormément de questions sur cette communauté. Sur son ambiance, sur ses influences politiques, sur ses dérives sectaires. C’est une relation conflictuelle. Aussi, afin de ne pas rester sur une sorte d’échec et peut-être aussi pour tenter de faire une comparaison, je décide de participer à une séance de rattrapage de fin d’après-midi. Chose facile, puisque Paray-le-Monial est non loin de là. Me voilà donc dans la chapelle proche du musée. Comme à mon habitude, je me mets au fond afin de ne pas attirer les regards lorsque je suis pris de tremblements. C’est alors que surgit Erik et 3 de ses enfants. Nous sommes aussi surpris l’un que l’autre. Il habite très proche du centre-ville, et se rend généralement à la cathédrale pour l’office du matin. Sauf ce jour-là, trop fatigué il avait préféré repousser à la fin de journée. Il s’est décidé le matin même. Nous comprenons à cet instant que nous devons accepter cet imprévu. Tout cela nous dépasse largement. Me voilà donc en famille pour une durée indéterminée.
En famille
C’est avec plaisir que je me rends aux offices du petit matin en compagnie de sa femme alors qu’il part à son bureau. Elle est quelque peu décontenancée par ce qui m’arrive alors que je me tiens à coté vers l’arrière de la salle. Elle peut alors témoigner visuellement de ce que je lui décris de ce que je vis depuis des mois. Un matin, en sortant de la chapelle, alors qu’elle se dirige vers son lieu de travail, je papote avec sa soeur qui est venu de sa campagne à quelques kilomètres de là pour assister à l’office. Informé de ma présence surprise, elle s’était dit qu’elle pourrait profiter de sa venue en ville pour échanger avec moi. Cela faisait de nombreuses années que l’on ne s’était pas parlé. La conversation est plaisante car j’ai acquis une certaine maturité dans ma foi, et il m’est beaucoup plus aisé d’échanger avec une personne adhérant pourtant à des dogmes différents. Nous trouvons des points d’accroche et la confrontation des points de vue sur la foi s’avère fructueuse. A ce moment là de l’année, j’ai encore la tête encore bien rempli de théologie. Et dans la mesure où je trouve rarement des personnes intéressées par ce sujet, j’apprécie d’autant plus cet instant partagé avec elle. Un long moment passe et nous nous quittons finalement. Je suis amené à la revoir puisqu’elle passe deux à trois fois par semaine sur Paray. Rendez-vous est donc pris.
16 juin, c’est la fête du Sacré-Coeur. Les festivités commence le vendredi. Bien sur, pour les catholiques, le moment le plus important se situe le dimanche, mais pas pour moi, et cela va bel et bien se confirmer. Il faut bien se mettre en tête que lorsque je vais à la messe, j’y vais seul et que personne ne connait mes véritables convictions religieuses. A ce moment là, je n’ai fait que les offices du matin. Elles sont courtes et en comité restreint. A ce moment là, des centaines de personnes se sont réunies et nous sommes en plein air pour une cérémonie qui sort de l’ordinaire. Afin de marquer le moment, j’ai décidé de porter mon tissu jaune vif sur la tête pour le temps de l’eucharistie. Un peu par hasard, je finis par m’asseoir à coté des parents de ma belle-soeur. Elle est juste à coté. Je remarque alors qu’elle porte un talit sur ses épaules. Un véritable talit brodé et casher. Même si j’ai du mal à le réaliser à ce moment là, il se passe quelque chose.
J’échange quelques mots avec son père qui est un homme très sensible. Alors qu’il me regarde droit dans les yeux, des larmes se mettent à couler sur son visage. Un déclic se fait dans ma tête. Une question était restée en suspend dans mon tout dernier article avant mon départ (Pessa’h Seni): quelle était l’eau qui servait à purifier les cendres de la vache? Les cendres sont le souvenir du sacrifice du mouvement de la vache jaune et brillante. Le porteur d’eau est le virus de la Couronne.
Les larmes de la purification.
Eucharistie. Je me couvre la tête avec le tissu jaune. Elle conserve le talit sur ses épaules. A peine terminé, je me lève. Je déteste partir de cette manière là, mais je ne supporte pas l’idée d’arriver en retard à la mosquée. Je ne connais pas les horaires et il y a plus d’une demi heure de route. Il est déjà midi passé. Je m’éclipse donc le coeur serré, bien conscient de laisser quelque chose en suspend. Je suis très en avance en réalité. L’ambiance est très chaleureuse. Je reprends la route dans l’autre sens. Les festivités se poursuivent. Je me trompe de route. Je perds quelques minutes. Il est près de 15 h quand je rejoins de nouveau le parc. La procession est en cours. Elle quitte le parc pour traverser le cloître. Au fond du parc, les lourdes portes en métal sont ouvertes. A une dizaine de mètres devant moi, un homme se presse également pour rejoindre la procession. Je le suis donc. Il passe la porte et disparaît de ma vue. Quelques secondes plus tard, je la franchis à mon tour. Mais c’est pour constater que je ne peux aller plus loin. L’homme s’est volatilisé et devant moi il y a une seconde porte, qui elle est fermée. Je réalise que celle-ci s’est fermé exactement entre nous. Je regarde en tout sens mais je ne suis entouré que de murs. Je n’ai pas d’autre choix que de ressortir. Quelqu’un me confirme que la porte est définitivement fermée. D’ailleurs elle ne sera réouverte pour quelques minutes qu’à l’occasion de la procession de l’année prochaine. Ainsi sont les terribles règles des cloîtres.
L’instant est horrible à vivre. Avec tout ce que représente une porte. Et cette simultanéité. Il me faut à tout prix trouver une porte de sortie émotionnelle. Je me dirige vers l’entrée du parc, pour assister au retour de la procession. C’est alors que je remarque un couple de marginaux assis devant l’entrée qui fait la manche. Je décide de me joindre à eux. Ils sont là par hasard. Des vies et des corps cabossés. Malgré tout, une douceur cachée derrière tout ce chaos et cette violence qui ne demande qu’à jaillir à tout instant. La procession fait son apparition. Elle est en bonne place: elle porte une sorte de drapeau à l’effigie de la sainte liée à la ville. Nos regards se croisent alors que je suis assis par terre avec mes nouveaux amis.
Le lendemain, nouvelle messe. Je remarque la fille cabossée qui se tient à l’écart. Elle n’ose pas se mêler à la foule des gens propres sur eux. Je l’invite à me suivre et à se rapprocher. Elle accepte mais refuse une chaise et préfère rester par terre dans la poussière. Tant d’émotions. N’est-ce pas là le coeur de l’évangile? Ma place n’est-t-elle pas plutôt là par terre avec cette femme meurtrie par la vie? En réalité, il n’y a aucun choix, aucune question à se poser. C’est comme ça. Et puis c’est tout. Le week-end s’achève, je n’ai pas vibré en public. Tant mieux.
Parodie
Comme l’indique le site de l’office de tourisme, dans le coeur de ville se trouve un musée au milieu des édifices religieux. Pas n’importe quel musée, le musée Hiéron, du grec hieros, qui signifie « sacré ». Ou autrement nommé, le musée eucharistique du Hiéron. Rien que ça. Eucharistique. Nous sommes dans une ville qui aurait connu des apparitions du Christ lui-même. L’eucharistie est le coeur de la messe. Je me répète quelque peu mais il est primordial que tout cela soit écrit. Ce bâtiment est centré sur un dôme. Et en dessous de ce dôme, il y a une pièce octogonale vers laquelle convergent toutes les salles. Un objet trône au milieu de cette grande pièce: une langue de plusieurs mètres de long. Pardon. Si l’on en croit la description, il s’agit d’une barque solaire. Une barque solaire toute droit issue de la mythologie égyptienne polythéiste antique. Une barque solaire, pour les initiés, c’est le véhicule de l’initiation afin de renaître à la lumière. La fameuse. Un ancien président français adepte de cette mythologie est raillé à titre posthume pour s’être fait sculpter avec un ridicule corps de dieu sur une barque solaire. L’artiste a juré que la ressemblance est fortuite ce qui n’a trompé personne tant les traits sont reconnaissables entre mille. Voilà de quoi finir sur une anecdote amusante la dénonciation de ce blasphème à la face du Créateur.
Les 10 premiers jours
Le lundi 19, ce sont les 10 premiers jours de dhul-hijja qui commencent. Début du jeûne en ces jours les plus longs de l’année. A la maison, on est catholique pratiquant ou athée. Il faut bien comprendre que si je suis parti début juin pour le Cantal, c’était pour faire ce jeûne seul comme l’année précédente. Me retrouver au beau milieu d’une famille et ses habitudes, pour gérer des jours à rallonge était une épreuve que je n’avais pas du tout envisagée. Est arrivé le 9ème jour. Le jour le plus important de l’année. C’était un mardi. Le mardi était le jour où je pouvais discuter en sortant de la messe du matin. Comme prévu, elle est là. Mais elle a un petit contretemps et doit s’occuper d’une femme âgée qui réclame de l’attention. Qu’à cela ne tienne, je vais profiter de ces quelques instants pour me reposer dans l’herbe du parc. Mon foulard jaune me tient compagnie. C’est mon dernier jour de jeûne et les nuits sont très courtes. Elle finit par me rejoindre, quelque peu stressée. Je suis étonné. Pourquoi s’agacer d’être retenue avec cette femme? Nous avons toute la matinée devant nous. Elle a du mal à cacher son agacement. Avec le recul, je réalise que c’était anormal.
Nous parcourons quelques dizaines de mètres et nous nous asseyons sur un banc au bord du cours d’eau qui longe la cathédrale. Les heures défilent ainsi. Il est midi passé quand nous parvenons à nous quitter. Un sentiment étrange. Il y a quelque chose qui s’écoule naturellement. Tout cela est déconcertant.
Nous sommes alors le 27 juin au matin. A quelques centaines de kilomètres, proche de l’endroit que j’ai quitté quelques jours plus tôt, un drame se joue. Un adolescent au volant d’une voiture de luxe jaune vif vient de recevoir une balle en plein coeur. Il est décédé.
Encore ignorant de ce tragique accident, je propose une nuit spéciale. La nuit du 9 au 10 de Dhul-hijja est la nuit la plus importante de l’année. Aussi, l’idée m’est venu de partager cette nuit où je dois achever la lecture du Coran avec de fervents chrétiens. Les deux soeurs sont partantes, ainsi que mon neveu le plus agé. Afin de profiter au mieux de l’expérience, je propose 3h du matin. Les réactions sont mitigées. C’est à 3h30 du matin que nous parvenons à filer dans la campagne pour partager cet instant dans la chapelle qu’elle a aménagée chez elle. Au même moment, Nanterre s’est embrasé. La nuit la plus sainte du calendrier hégirien vient de se transformer en cauchemar pour la France entière. Sur le chemin de retour, nous passons dans une vallée. Le brouillard est dense. Il se déchire au moment où nous passons. Le spectacle est à couper le souffle. Mais je n’ai pas le temps de m’attarder: la cérémonie de l’aid va bientôt commencer. Aucun répit.
Visite éclair
Il me faut partir. Avant cela, je me suis dit que j’allais rendre une petite visite à celle avec qui je passe tant de temps à discuter. Surprise, elle m’annonce qu’elle ne devrait pas être là et que j’ai beaucoup de « chance ». Cette semaine, elle n’est pas chez elle. C’est alors qu’elle propose de me laisser dans la chambre d’ami de sa maison pendant quelques jours pendant son absence. Je peux donc prolonger mon séjour. Il n’y a plus urgence pour aller à la grange. Mes plans initiaux liés au jeûne des dix premiers jours n’ont plus de raison d’être de toute façon. Je me décide donc à y retourner pour participer à une rencontre islamo-chrétienne qui a lieu le week-end suivant. Le week-end du 8-9 juillet arrive. Au même moment, à Paray, a lieu le Jésus festival, qui réunit des groupes de chansons chrétiennes modernes. L’organisateur de la rencontre avec qui j’avais déjà échangé à ma dernière venue, réalisant la dangerosité de ma présence, me décourage de rester de manière très détournée mais polie. Ne voyant aucune issue favorable, je n’ai d’autre choix que d’abandonner la partie. L’endroit demeure un endroit privé sous grand contrôle. Les troubles-fête dans mon genre ne sont guère tolérés. Ce qui n’est pas le cas de certains responsables de la secte européiste à qui l’on déroule le tapis rouge pour y venir faire un peu de propagande. Cette rencontre au vernis spirituel cadre parfaitement avec cette emprise. Cherchez et vous trouverez.
7 mendiants
Me voilà donc de retour ce lundi 10 chez elle avant de prendre la route. Ce que j’apprécie dans cette situation c’est que je peux discuter religion avec des chrétiens tout en assumant pleinement mes croyances. Cela évite des contorsions dans les discussions qui ont tendance à brider les idées. Force est de reconnaître, avec le temps, qu’il m’est beaucoup plus compliqué de partager mon expérience eucharistique avec des musulmans. Pouvant partager tous les méandres de ma pensée, c’est tout naturellement que j’en viens à aborder le point de vue rabbinique qui m’a accompagné tout au long de ces six premiers mois. Je me connecte donc à la chaine du rav Ifrah et je lance la dernière vidéo qui est sorti quelques heures plus tôt et que je découvre aussi. Il y a généralement 2 vidéos par jour. L’une des deux mentionne toujours les contes des « 7 mendiants ». En réalité, pendant toutes ces années, dans le cadre d’une déconstruction de la mythologie incrustée à l’intérieur de la Révélation, je m’étais toujours appliqué à ne pas visionner les vidéos du rav dans la série des contes. Il faut bien comprendre que si je m’intéresse à quelqu’un, je vais toujours appliquer un filtre. Le temps n’étant pas élastique, il faut faire des choix et hiérarchiser l’information. Développer une théologie autour de la matière des contes ne cadrait pas avec mon approche. Sauf que ce matin là, je n’ai pas filtré et je me suis retrouvé dans un univers entièrement nouveau et qui est en réalité le véritable coeur de la théologie du rav Ifrah et du rav Nahman de Breslev. Bien sur, cette théologie n’est pas dissociée de celle qui est exposé dans l’autre série de vidéos et il est donc plus aisé de passer dans celle-ci si on est un habitué du rav. Nous nous asseyons à la table de la cuisine sur laquelle j’ai posé mon téléphone et nous écoutons. Il aborde ses thèmes favoris, le lien du croyant au monde moderne, les illusions du matérialisme. Elle écoute avec intérêt tandis que je lui traduis certains mots hébreu afin de faciliter la compréhension. Il expose le processus qui amène le croyant sincère à se sortir du monde en suivant les enseignements de son maître. Il est clair que la formulation employée, qui consiste à donner un pouvoir d’action de celui qu’il appelle le Tsadiq, et qui est son maître, sur le disciple qui écoute, me dérange fortement, mais je parviens à faire abstraction face à la qualité du-dit enseignement qui se détache nettement de tout ce que je peux écouter sur internet à l’heure actuelle. Selon moi, ce n’est pas un hasard si cet enseignement nous parvient du coeur de l’Ukraine et qu’il est en train de devenir la référence dans le monde religieux rabbinique. La guerre et cet enseignement progresse en puissance de concert. Le mal et le bien sont interconnectés.
Selon lui, dans le monde moderne, le croyant voit le bien qui est en lui devenir un mal. Le conte sert de cadre parabolique au parcours spirituel de celui qui écoute: il s’identifie au personnage principal. Ce personnage cherche sa princesse, qui serait par parabole sa propre âme perdue en ce monde. A chaque vidéo, en introduction et en fin, le rav a pris pour habitude depuis quelques mois de chanter, accompagné des quelques hommes autour de lui, un chant populaire pour exprimer sa joie dans la foi: Ashreinu ma tov chelkeinu (traduit par: Comment sommes-nous dans la joie). A environ 20 mn du début de la vidéo, une fois n’est pas coutume, il commence à entonner cette petite chanson, tout d’abord timidement, puis ensuite plus affirmé pour être enfin appuyé par son entourage. Impliqué émotionnellement dans le récit, et c’est la première fois que je partage réellement cette écoute, je ne peux m’empêcher de remarquer sur le moment cet instant qui sort de l’ordinaire. Nous sommes tous les deux tournés vers le petit écran. Captivés. Il reprend la parole:
C’est le principe des flèches: même si il arrive chez la princesse. Il la trouve. Il arrive dans la maison là où elle se trouve. Dans le palais où elle se trouve. Il la voit. Elle est là devant lui. Mais elle lui dit: « tu ne peux pas me faire sortir. » Mais on comprends pas pourquoi. Parce que voilà il a passé toutes les difficultés. Il est là devant elle. Pourquoi il peut pas la prendre et la ramener dans sa maison? « Ce que tu appelles me délivrer, ce n’est pas ça me délivrer. Toi tu crois que c’est ça que tu veux. Tu sais pas qui je suis. Tu sais pas ce que tu vas faire. Il faut que tu arrives à une niveau de vouloir beaucoup plus grand que ça. Il faut que tu arrives à un moment où l’amour que tu vas avoir pour la délivrance va être beaucoup plus grand qu’une notion morale ou de devoir, d’aide, de bien. Tu vas arriver à quelque chose de très grand au niveau du vouloir. (…)
La princesse dépend entièrement de lui. C’est son histoire à lui. (…) Ils évoluent dans leur histoire tous les deux en même temps. Mais quand il va la trouver elle va lui dire: « c’est le palais du Lo Tov. »
Cette fois, c’est elle qui me demande: » Le Lo Tov? »
Lo: Non. Tov: tob: Bien. Lo Tov: le Non Bien.
On mange, on boit, il y a des artistes. Il y a de la musique. C’est un bel endroit. Mais c’est Lo Tov!
A partir de maintenant, les flèches qu’on reçoit c’est pour nettoyer l’imagination. C’est pour arriver à l’essentiel de l’engagement. Il y a combien de couples qui se marient pour de l’imagination? Pour combien de temps? Il y en a qui se sont marié pour un degré d’imagination qui dure un an, ou deux ans, ou trois ans. D’autres ça dure 5 ans. 20 ans. 30 ans. Et à un moment, ça craque. L’imagination a disparu. « Je pensais que le mariage, c’était ça. »
Hachem a dit que le mariage est une Mistvah de la Torah. C’est tout. Et si quelqu’un fait ça comme ça, il n’y a pas d’emprise de l’imagination. (…)Le Tsadiq va nous amener dans l’endroit où il y a l’emprise de l’imagination et de là on va démarrer.
Le rav cesse son monologue et se penche sur le chat qui défile sous ses yeux. Le visionnage qui ne devait durer que quelques minutes pour donner une idée, va se poursuivre jusqu’à la fin de son heure. L’heure de la prière approche. Pour profiter des avantages tarifaires de la pause de midi, elle décide de passer la tondeuse électrique pendant une demi-heure. La tondeuse va couvrir mes hurlements.
Nous nous retrouvons dans la chapelle. Une pression terrible sur les épaules. Je me pose des milliards de question. 3 choses me dérangent profondément. La première est liée à la trinité, au concept d’incarnation du Créateur sur terre dans un homme et à l’idée de fils unique. La deuxième, c’est le fait de se déclarer comme épouse du Christ, puisque consacrée. Enfin, et c’est affirmation qui me fait le plus réagir, c’est celle qui concerne tous ceux qui appartiennent au clergé, c’est l’idée que parmi tous les croyants à qui la promesse d’un au-delà est faite, ceux qui ont fait un voeu dans le cadre du clergé ont une sorte d’avant-gout de cette promesse ici-bas. Je réalise à quel point cet élément de doctrine est central dans la constitution même du clergé, même si c’est un non-dit. Mais nous jouons carte sur table. Appartenir à un sous-groupe au sein des croyants, me parait inimaginable. Si le Créateur a effectivement établi un groupe élevé parmi l’ensemble, il m’apparaît que nul d’entre nous ici-bas ne peut être à même d’en deviner la liste. Encore moins d’établir des règles pour la constituer entre humains.
Dans mon coeur, quelque chose vient de se verrouiller. Malgré tout ce que je peux éprouver, tout le contexte dans lequel je suis conditionné, malgré le sentiment d’accomplissement et de naturel, il demeure un obstacle indépassable. Si il y a un véritable « Lo Tov », il est bel et bien là. Ça, c’est ce que je pensais à ce moment là, mais avec du recul, on peut aussi considérer que ce verrouillage soit un simple mécanisme psychique me permettant de sortir par le haut d’une situation où face à une décision propre à faire basculer ma vie entière, la peur a pris le pas sur ma pulsion. Ou comment le rationnel vient au secours de l’irrationnel ou plutôt prendre le pas sur l’irrationnel. Le rav Ifrah utiliserait l’expression de logique qui prend le pas sur la foi. Ce qui me définit comme étant moi-même dans le « Lo Tov ».
Il me faut partir. C’est ainsi. Ce qui s’est passé dans les premières minutes de la route, je ne l’écrirai pas ici.
« wayyar Elohim ki-tob ( prononcé Tov en judéen) »:
« et Dieu vit que cela était bon« ,
Gen 2.18:
wayyomer YHWH Elohim lo-tob heyowt haAdam labadow:
et l’Éternel Dieu dit qu’il n’est pas bon qu’Adam soit seul.
Le camion se met à faire des siennes après quelques kilomètres. Le calculateur se met en défaut quasi tout le temps. La conduite devient vite un cauchemar. J’arrive à la grange avec soulagement le lendemain. Je reprends mes marques perdu au milieu du Cantal. Je vais continuer à suivre le rav pendant quelques temps. Mais je ne me sens pas bien. Je réalise alors que la grâce m’a quitté depuis mon départ de Paray. C’est le vide dans la prière, le vide à la messe. Plus rien. Coupé du monde. Personne ne s’arrête pour me rendre visite. C’est la dure loi de la campagne quand on a pas un solide réseau. Je reconnais que ce qui a motivé ma venue était de m’éloigner de la ville et de sa foule, et que je ne suis pas forcément très doué dans les rapports sociaux, mais tout de même.
Le chateau de Pagax
Peu de temps plus tard, je suis parti en randonnée du coté de Décazeville. Cette dernière est une étape du chemin de Compostelle. Une randonnée à la journée m’était suggérée qui empruntait la partie la plus interressante de l’étape à savoir le surplomb de la ville avant d’entamer la descente. Je décidais de rallonger le parcours en m’aidant de la carte. Le début du tracé consistait à rejoindre depuis Agnac le chemin, puis d’emprunter ce dernier à l’envers. Arrivé à la conjonction du GR62 juste après avoir profité du paysage, je quittais le Chemin vers une voie alternative. J’arrivais au village de la Bessenoits qui est assez grand pour contenir une église. De là, je me dirigeais vers le nord en parallèle du Chemin. Je constatais que mon choix était le bon car je progressais sur la ligne de crête avec un panorama s’étendant de tous cotés. C’est alors que je remarquais que quelqu’un me suivait à quelques dizaines de mètres. J’arrivais alors au milieu d’une ferme sans possibilités d’aller plus loin. Mon téléphone me confirmait mon erreur. J’avais raté l’embranchement précédent. Du coup, la randonneuse me rejoint. D’habitude je ne croise personne. Mais étant donné la proximité du Chemin, la première partie de ma marche m’avait fait croisé un grand nombre de gens. A ce moment là, j’en étais assez loin et mon itinéraire n’existait pas. J’étais donc assez surpris de voir quelqu’un me suivre. Nous entrons donc en contact. La femme a un fort accent germanique. Elle est très grande et blonde. C’est assez caricatural. Toujours est-il qu’au-delà de ces considérations, c’est une très belle femme malgré son accoutrement et la fatigue qu’elle affiche en partie dû à la chaleur. Je lui explique que je me suis trompé et que j’aurais du tourné avant. Je lui fais part de ma surprise quant à sa présence, car le Chemin est plutôt loin à présent. Il doit bien être à 500 mètres à vos d’oiseau, beaucoup plus par les chemins. Elle m’affirme pourtant avoir suivi le Chemin. Elle ne veut pas accepter son erreur et ne souhaite pas repartir en arrière parce que trop fatiguée. Ce faisant nous retournons en arrière et trouvons le petit chemin qui descendait sur le coté un peu caché. Je lui propose de me suivre car je sais très bien où je vais. Par contre, je ne vais pas prendre le chemin le plus direct et je vais suivre la randonnée proposée. Après quelques hésitations, elle s’en remet entièrement à moi et délaisse son téléphone. Elle m’explique qu’elle est parti tôt et qu’elle aimerait bien arriver. Et en effet, le Chemin ne fait que descendre à partir de ce moment là, tandis que la randonnée que nous empruntons alors est assez physique et il fait assez chaud. Je l’attends de nombreuses fois. Nous discutons. Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec mon histoire récente. Je ne peux m’empêcher, comme tout homme, d’avoir des idées qui me viennent en tête. Il m’est donc plus simple de marcher devant sans trop me retourner. Nous effectuons la montée finale qui n’en finit plus. L’arrivée se situe sur la route qui mène au chateau. Au même moment où nous débarquons sur le goudron qui est plat, une voiture utilitaire s’arrête. L’homme nous interpelle. Assez vite, il propose de nous emmener. Mais il n’a qu’une place. Même si ils ne se comprennent pas, car elle parle en anglais, elle accepte de partir avec lui vers Livinhac. Alors qu’il charge le sac à l’arrière, la voiture se met à avancer toute seule. Il a oublié de mettre le frein à main. Serait-il troublé par la dame au point d’en oublier les choses de base? Possible. Elle me serre dans les bras. Je suis assez surpris de son geste. Je mets cela sur le compte du Chemin, bien que nous ne l’ayons jamais emprunté ensemble. Ils montent tout deux et disparaissent. Je fais le tour du chateau. La vue est belle. Il est temps de redescendre et de reprendre ma voiture pour rentrer.
La voiture avait une particularité qui m’a marqué: elle était rouge. Du point de vue de juin 2024, nous comprenons bien que c’est l’adversaire qui est venu cueillir la femme en haut de la dernière ascension. Elle m’a témoigné de l’affection avant que l’on ne se sépare. Pagax signifie paiement. Si elle était effectivement plus grande que moi, elle était pourtant égarée et suivait mes pas.
Son prénom est Sigrid. Cela signifie Victoire du beau/bon/paisible.
Deuils
Depuis le 6 juillet, c’est à dire le 17 tamouz, je m’applique à observer la période des 3 semaines de deuil dans le judaïsme rabbinique. Il s’agit notamment de s’abstenir de manger de la viande, de faire la fête. L’un des interdits spécifique m’a interpellé: le mariage. Cette période doit se finir le 9 av, le jour de la destruction des deux temples, soit le 27 juillet 2023. Le deuil s’intensifie pour les 9 derniers jours.
Je ne me rappelle plus bien à quel moment exact dans les jours qui ont suivi, où je suis tombé sur des vidéos courtes sur le Tube, où de jeunes pianistes jouaient un morceau qui m’était inconnu mais qui semblait extrêmement populaire. Le titre me faisait penser à un célèbre duo de musique électronique français qui apparaît casqué en public. Il me semblait qu’un long métrage animé était sorti il y a quelques années et qu’ils en avaient signé la bande son originale. Dans la mesure où ce que j’entends évoque plutôt des sentiments de nostalgie que de fête, je me dis que cela ne dérange pas dans le cadre du deuil des 3 semaines. En parcourant les commentaires, je constate le fort impact du film sur les gens. Je cherche de meilleures versions, d’autres instruments. Quelques clics plus tard et mon coeur est touché. Quelque chose d’indéfinissable caractérise cette musique. Elle semble à la fois intemporelle et dépasser le cadre de notre bonne vieille terre. Je m’informe alors sur le film, pour comprendre ce qui touche autant les gens. Persuadé que je ne vais pas le voir, je n’ai donc pas de regret à m’être révélée l’intrigue principale et je lis donc entièrement sa fiche wiki afin d’en connaitre les thématiques et les enjeux. Sachant qu’il date de 2014, je consulte le site de référence en France sur le cinéma. Il se trouve qu’un des grands réseaux de distribution profite de l’été pour remettre à l’affiche des films classés comme culte. C’est donc dans ce cadre que le film est diffusé dans tout l’hexagone au même moment. Au même moment exact, c’est à dire le même jour et à la même séance, vers 20h30 le 27 juillet 2023. J’ai beau fouiller, impossible de trouver un autre créneau. Si je veux voir le film, ce sera à ce moment là et pas à un autre. Or, déjà le film sera en cours au moment de la prière de maghrib, qui est la prière la plus importante lors d’une jeûne, et de plus cela tombe exactement au soir de la fin des trois semaines. Non seulement cela, mais techniquement cette prière correspond également à l’entrée dans le jour de Ashura, qui correspond au vendredi 28 juillet. Ashoura marque l’entrée dans la période de deuil de 40 jours qui est suivie par la communauté Shia. Le deuil dans la Torah immédiatement suivi du deuil dans le Coran. Les sunnites considèrent cet instant comme une fête. Il s’agit d’un grave affront au Créateur et à la famille du Prophéte, paix sur lui. Les Shias commémorent la mort des deux fils d’Ali. C’est la fin officielle de la période de bénédiction de la révélation coranique. (voir https://www.stephanpain.com/2023/03/31/eli-et-larche/ )
Me voilà face à un terrible dilemme. D’un coté de la musique, un film, une sortie en ville et de l’autre deux deuils, deux jeûnes, la prière. Je finis par trancher et décide de réserver ma place. Le jeûne du 9 av est particulier: il dure 24h. Il me faut donc manger le mercredi après-midi. Je base mon camion proche de la mosquée de Rodez. Je vais à pied jusqu’au cinéma. Nous sommes alors en plein été et le centre ville est haut perché. La séance débute à 20h30. Des publicités pendant un long moment. Le film débute. Je regarde souvent ma montre pour ne pas rater le moment exact de la prière. J’ai des fruits secs et une petite bouteille d’eau dans mon sac. J’ai fait mes ablutions avant d’entrer dans la salle. Tout est prêt. J’ai du mal à me concentrer sur le film d’autant que le début est volontairement lent puisque l’oeuvre s’étale sur près de 3 heures et que je connais déjà l’intrigue du film. Pendant la première demi-heure, le personnage principal tente de comprendre ce qu’il doit accomplir. Il décide d’abandonner ses enfants pour partir dans l’espace dans un voyage sacrificiel. Les dernières minutes semblent durer une éternité. Enfin l’heure du passage du 9 av (héb) au 10 muharram (hég) entre. Je romps le jeûne avec une poignée de fruits secs tandis qu’au même moment sur l’écran, la navette des héros est en train de décoller dans un fracas assourdissant qui emplit toute la salle. Ainsi personne ne peut m’entendre grignoter ni avaler une gorgée. Je réalise la puissance de cette synchronicité qui vient me libérer en un instant de tous les doutes sur la légitimité de mes actions. C’est le coeur battant que je fais une rapide prière. Une fois achevée, je suis plus apaisé, mais je suis bien conscient de la portée de ce qui est en train de se passer à ce moment même. D’écrire ces lignes, 5 mois plus tard, je ne peux retenir mes larmes.
TImecode du film:
604 00:42:07,026 –> 00:42:09,445 Allumage moteur principal.
Mon appli de téléphone indique 21h26 pour l’heure de maghrib, ce jour là. Le film a donc du débuter vers 20h45. Même si je connaissais l’histoire avant de le voir, et que le doublage en français me dérangeait quelque peu, il n’empêche que d’avoir vécu cet instant me faisait cogiter.
Ce film est un conte moderne sur la transcendance. La science est au service d’une théorie autour d’une humanité du futur qui aurait acquis la capacité d’intervenir sur la notre pour la sauver. Une version alternative aux extra-terrestres qui s’avère être plus digeste pour ceux qui s’affranchissent des contraintes du temps. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une fable transhumaniste antithéiste. Une véritable négation de notre Créateur. En dehors des reprises de la bande musicale sous toutes ses formes, on peut trouver un nombre incalculable de vidéos à inspirations scientifiques traitant des thèmes abordés, d’autres de cinéphiles qui explorent des idées scénaristiques alternatives et enfin de réactions de spectateurs à certains passages. Certains n’hésitent pas à qualifier le film comme de meilleur de tous les temps. Et il est vrai qui si on en juge de l’impact qu’il a eu sur toute une génération, l’affirmation n’est pas forcément dénuée de tout fondement du point de vue populaire. A l’occasion de l’écriture de cet article, j’ai été amené à m’imprégner du sujet. Je l’avoue, je me suis fait happé moi aussi pendant un court moment. J’ai enfin fini par comprendre où je devais chercher. Il faut faire disparaître tout l’habillage, pour aller au fond. Il y avait un petit détail qui m’avait échappé car l’histoire est dense en informations et le sujet n’est pas abordé sur la fiche wiki. Les premières lignes d’un poème sont placées dans la bouche du professeur Brand, du docteur Mann et apparaissent dans les dernières minutes du film sans qu’elles soient prononcées. Voici ces lignes:
-
- Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day;
Rage, rage against the dying of the light. - N’entre pas docilement dans cette douce nuit.
Le vieil âge doit gronder, tempêter au déclin du jour.
Hurle, hurle, contre l’agonie de la lumière.
- Do not go gentle into that good night,
La lumière dont il est question est celle des gnostiques. Ceux pour qui le film incarnerait une explication scientifiques pour la transcendance sont ceux à qui s’adresse ce poème. L’auteur les invite à se rebeller au moment de l’entrée dans la bonne nuit. Nuit car c’est la nuit de la lumière de l’adversaire. Good, car c’est le bien qui prend place et l’adversaire ne peut pas le nier. L’ancien monde est invité à engendrer le chaos. Il doit s’enrager/hurler. Comme on peut le constater, c’est toujours le même programme qui est proposé: le chaos et la réinitialisation.
Il y a un nom qui est affiché au dessus: celui de _azare. C’est le nom de la première mission. Pas de hasard. Affiché sur…
…une stèle. Une stèle virtuelle du 21ème siècle.
Nous étions entre les stèles.
Mise à jour 9/2/23, ajout de l’image:
Observons cette image, car tout y est. Il y a donc bien la présence de cette fameuse stèle qui est toujours la marque de la victoire proclamée de la contre-révélation dans le temps (le coté éternel de la pierre a muté dans le coté éternel d’une oeuvre qui s’inscrit dans le patrimoine de l’humanité). Remarquons que la stèle est rouge. Placé en haut, _azare, et en dessous « Endurance ». Lorsque je suis tombé sur cette stèle après la rédaction de cet article, j’ai donc du faire une mise à jour. Je comprenais alors seulement pourquoi il s’appelle Interstelas. Jusqu’à ce moment, j’étais resté dans l’idée de rédiger un article traitant d’une autre stèle égyptienne. Nous sommes plus d’un mois plus tard, et je revois cette scène. Le sens du poème a été correctement expliqué. Mais il subsiste un doute. Levons-le, voulez-vous. Il ne faut pas faire attention au nom du vaisseau mais à sa forme. Le vaisseau endurance est composé d’un X entouré de 12 modules. Il s’agit du X du mot Christ en grec. Les 12 modules représentent les 12 apôtres. Quant au premier dessin lié au nom « _azare », il pourrait illustrer l’errance sur la terre: tourner sans pouvoir se poser. Cette stèle virtuelle est en réalité une représentation symbolique du conte des deux frères transposé sur le duel de l’évangile johannique et enfin réactualisé pour notre temps (le noble au dessus du besogneux). Remarquons que le héros a une attitude étrange en passant à coté de cette stèle (vous le verrez mieux sur une séquence en tapant « Cooper Station Scene » avec le titre du film): il écarte une branche de l’arbre situé derrière la stèle alors qu’il a la place de passer à coté sans le toucher. Cet arbre, vous l’avez compris, c’est l’arbre de la connaissance. Apportée par l’adversaire par le film en lui-même. La connaissance « ultime ». Nous comprenons que l’adversaire vient de jouer son va-tout.
Et pourtant. Cette fameuse histoire d’un père qui transmet à sa fille des informations au travers du temps pour sauver l’humanité peut prendre une toute autre dimension. Transformer le plomb en or. C’est à dire que, ultimement, un effort extrême pour repousser les limites du refus, finit toujours pas produire l’effet inverse. La clef de l’oeuvre, c’est que seul l’amour permet de comprendre et d’interpréter le message transmis. Cela renvoie constamment à la foi, et à ce que nous pensons percevoir/recevoir de notre Créateur malgré toutes les réticences et les obstacles qu’un grand nombre dressera. Cela rejoint mon propos sur le fait qu’à partir d’un moment, aucun Livre ne peut nous aider face à certains choix.
Deux semaines passent ainsi, dans la solitude et la nostalgie. Nous sommes jeudi 10 août au soir, quelques minutes avant minuit. Je suis couché et je dors. Je suis réveillé par un énorme bruit. Je me lève en sursaut et je cours dans la direction supposée. Par terre, il n’y a pas grand chose. Puis j’aperçois des bouts de verre. Je ne comprends pas tout de suite. Je me décide à monter à l’étage. Depuis maintenant environ plus d’un an, j’ai placé deux vieilles horloges vidées de leurs mécanismes, de part et d’autre de la grande porte de la salle de prière. J’avais en tête d’en faire des bibliothèques de livres religieux. Cet été là, je ne travaillais pas à l’étage et la dernière fois que j’y étais monté remontait à plus d’une semaine. Sans aucune raison, l’une des deux horloges-bibliothèques venait de basculer sur le parquet en chêne. La partie haute avait explosé et il y avait du verre partout. Le film me revenait immédiatement en tête. Le point de départ de l’intrigue ce sont les livres que le père fait tomber depuis la bibliothèque de sa fille pour attirer son attention alors qu’il ne sait pas du tout quoi faire dans le tesseract de la fin du film. Ensuite, après avoir réfléchi, il décide d’utiliser les aiguilles de la montre qu’il lui a laissé pour lui transmettre les données scientifiques récupérées depuis l’intérieur du trou noir où il s’est sacrifié. Munie de ses données, elle va pouvoir résoudre le problème d’évacuation des humains. Elle ne sera jamais crue quant à l’origine de ces données.
Mais à qui puis-je raconter de telles choses? C’est trop de poids à supporter. Assumer le regard des gens, c’est impossible. Aucun autre choix que me taire.
Fin d’été
Chacun fait comme il peut pour évacuer la pression. A Aurillac, chaque fin d’été, il y a un festival d’art de rue. Il fait chaud, les rues sont remplies de freaks en tout genre, notamment de jeunes femmes peu farouches. C’est le seul réel endroit où mon apparence, cheveux long et barbes, est en adéquation. Je passe totalement inaperçu. Je pourrais même me faire passer pour un artiste si j’osais. C’est ma seule porte de sortie. Je veux affronter mon destin. Qui sait si une de ces jeunes filles pas farouches ne va pas me faire de l’oeil? En me lisant, après tout ce que j’ai raconté au dessus, cela peut paraître incompréhensible pour un croyant droit, un juste. Et pourtant, c’est ainsi. Nous sommes ici dans les méandres de mon âme. J’ai passé l’été seul et j’ai la ferme intention de me rendre à ce festival. Mais comme je ne suis pas totalement déconnecté, je me rends bien évidemment à la mosquée en ce vendredi. Dans l’après-midi, je me balade dans la rue. Chaque recoin de la ville est couverts d’affichette annonçant les troupes. Leurs noms rivalisent dans l’originalité. J’ai du mal à percevoir comment l’on fait pour se démarquer réellement et faire venir des spectateurs à soi dans ce contexte. J’ai repéré un nom connu: l’église de la très sainte consommation que j’avais découvert en ligne à l’époque des Indignés. Après toutes ces années, ils sont toujours là et force est de reconnaître que cela s’explique par leur popularité. La place était saturée de monde et la foule enthousiaste. Le concept est une parodie de l’église catholique en église du marché. Il faut reconnaître que la pièce est très bien écrite et interprétée, ce qui dénote avec le théâtre moderne subventionné qui n’a souvent ni queue ni tête pour qui n’est pas « esthète ». J’ai pu constater à quel point mon point de vue politique avait évolué en une décennie et j’ai eu souvent à déplorer les poncifs sur la société de l’entrepreneuriat et sur la prétendue collusion entre l’impérialisme et la communauté catholique. Le public acquis à la cause était donc brossé dans le sens du poil. Voilà une petite entreprise qui ne connait pas la crise.
Puis un peu plus tard, une foule en mouvement est arrivé sur la place. Elle avait les yeux rivés sur un groupe de jeunes qui grimpaient sur les façades des immeubles. Ce qui paraissait inimaginable à première venue du fait de la hauteur et du peu d’appuis disponibles, ils pouvaient y parvenir en s’appuyant sur un travail individuel acharné, une coordination parfaite et une confiance absolue les uns envers les autres pour affronter le vide. L’un des spectacles les plus impressionnant qu’il m’ait été donné de voir de ma vie. Vient le soir. La mosquée est entourée de plusieurs scènes. Il y a beaucoup de bruit et de musique. Les fidèles ont pris la récente résolution de se réunir après la prière afin de donner vie à leur communauté. Un temps de partage. Je vais me coucher un peu à l’écart du centre-ville pour éviter le bruit. Le lendemain matin après fajr, un petit groupe se forme. Je me dis qu’il s’agit de la suite de la veille et je ne remarque pas tout de suite que tous ceux qui sont là ne sont pas des habitués. Je décide donc de rester en leur compagnie avant de vivre ma vie. J’ai toute la journée pour affronter mon destin. Au bout de quelques minutes, je réalise qu’il n’y a aucun local. C’est tout simplement un groupe de tabligh en sortie pour le week-end. Mauvaise date, pourrait-on se dire. Certains n’ont pas fermé l’oeil de la nuit à cause du bruit ambiant. Me voilà coincé. Si je n’ai parlé à personne pendant tout l’été. Autant dire que j’ai rattrapé mon retard en deux jours. J’ai parlé à tous les membres du groupe un par un. Je me suis fait rattrapé par la patrouille. Lorsque je reprends la route le dimanche en fin d’après-midi, je vois un couple qui fait du stop à la sortie de la ville. Je m’arrête. Seul le garçon monte, un « saltimbanque ». Au bout de quelques minutes de discussions, je lui raconte la problématique du week-end. Il me révèle alors être un marocain musulman. Un musulman au milieu des freaks. Tandis que je suis un freak au milieu des musulmans. Quelles étaient les probabilités de tomber sur lui?
Il se prénomme Taha.
Le 11 septembre, c’est l’anniversaire de la découverte de la grange. Je me suis mis en tête de réaliser une arche au dessus de la porte d’entrée pour le mien. Ce jour là, je vais chercher les pierres de granit qui vont en constituer les piliers. Mi-octobre, la structure en palette qui va permettre d’élever les briques est posée. L’entrée en chantier est impraticable pour plusieurs semaines. Il fait anormalement chaud en ce mois d’octobre. Vers la dernière semaine, je suis sur le point d’achever mon travail avant la date fixée. Mais je me suis mis en tête d’acquérir un C15. Cela me parait à présent comme une évidence. Un C15 n’est ni plus ni moins que la version utilitaire de la Visa. Mon choix se porte sur un C15 à 5 places. Ce n’est donc pas à proprement parler un utilitaire. A cette occasion je me rends à Perpignan où l’été est loin d’être fini alors que dans le Cantal on vient juste d’entrer dans le dur. Je découvre la mosquée la plus méridionale de France. Placée dans un endroit improbable, entre deux clubs de motards, il y règne un climat extraordinaire. Je n’en dis pas plus. C’est à chacun de lui rendre visite. Sur la route, j’assiste à l’office du dimanche matin à Castres. C’est avec bonheur que je constate mon retour en grâce. Le lendemain matin pour fajr, c’est à dire le jour de mon anniversaire qui est le 30 octobre, le flux revient dans la prière quotidienne. Cette histoire de voiture, cela pouvait paraître fou. Cela faisait plusieurs années que je ne savais pas comment m’en sortir. De la LNA à la Visa, puis le C15 du Seigneur. Le 15 revient dans plusieurs articles depuis quelques temps. La parasha 15 de Pessah, le Cantal 15 et enfin le C15. Le C pourrait être le C du mot Coran, ainsi qu’une lune stylisée. Tandis que derrière le 15 se cache quelque chose de plus ancien. La numérotation dans la Torah est constituée de lettres. Alef est 1, Beth est 2, etc. Pour les dizaines, on place le yod en premier. Ainsi 14 est yod dalet. 15 devrait être yod hé, mais cette combinaison n’est pas utilisée, on lui préfère 9+6, car il s’agit du nom propre de Dieu dans la Torah. Comme dans Zakaryah זְכַרְיָה (Yah s’est souvenu). C’est donc bien le nom de Dieu qui se cache derrière le 15.
C15, c’est le croissant islamique accolé au nom divin de la Torah.
Je rentre à la grange. Je finis mon arche dans les jours qui suivent. Le mois de novembre s’achève. Je participe à la fête de la paroisse. Il est temps de remonter vers la capitale. Je traverse un pays où tous les panneaux d’agglomération sont retournés. Le pays est à l’envers. Décembre. L’avent. Noël. Je ne bouge pas de chez moi, je ne marque en rien la date et je commence à rédiger cet article.
Je réalise alors que l’année 2023 est en chiasme.