dimanche 5 janvier 2025

Juste son article

Si il y a bien une parabole qui est demeurée un casse-tête pour tous les exégèses depuis bientôt 2000 ans, c’est bien la parabole de l’économe infidèle. Jusqu’ici, à part me faire froncer les sourcils et maugréer, je n’avais jamais réussi à en tirer quelque chose de bon. A mon sens, le texte rapporté était corrompu. Il suffisait de la laisser de coté et tout irait pour le mieux. Sur les réseaux, je suis tombé sur une assemblée qui tentait une approche. Peine perdue. Je consultais les informations à son sujet et la longue liste de tous ceux qui avançaient des hypothèses.  Je vous mets le lien en anglais car ce sont d’avantage les réformés anglo-saxon qui se risquent à l’exercice.
https://en.wikipedia.org/wiki/Parable_of_the_Unjust_Steward

Luc 16
1 Jésus dit aussi à ses disciples: Un homme riche avait un économe, qui lui fut dénoncé comme dissipant ses biens. 2 Il l’appela, et lui dit: Qu’est-ce que j’entends dire de toi? Rends compte de ton administration, car tu ne pourras plus administrer mes biens. 3 L’économe dit en lui-même: Que ferai-je, puisque mon maître m’ôte l’administration de ses biens? Travailler à la terre? je ne le puis. Mendier? j’en ai honte. 4 Je sais ce que je ferai, pour qu’il y ait des gens qui me reçoivent dans leurs maisons quand je serai destitué de mon emploi. 5 Et, faisant venir chacun des débiteurs de son maître, il dit au premier: Combien dois-tu à mon maître?
6 Cent mesures d’huile, répondit-il. Et il lui dit: Prends ton billet, assieds-toi vite, et écris cinquante.
7 Il dit ensuite à un autre: Et toi, combien dois-tu? Cent mesures de blé, répondit-il. Et il lui dit: Prends ton billet, et écris quatre-vingts.
8 Le maître loua l’économe infidèle de ce qu’il avait agi prudemment. Car les enfants de ce siècle sont plus prudents à l’égard de leurs semblables que ne le sont les enfants de lumière.

9 Et moi, je vous dis: Faites-vous des amis avec les richesses injustes, pour qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels, quand elles viendront à vous manquer.

10 Celui qui est fidèle dans les moindres choses l’est aussi dans les grandes, et celui qui est injuste dans les moindres choses l’est aussi dans les grandes.
11 Si donc vous n’avez pas été fidèle dans les richesses injustes, qui vous confiera les véritables?
12 Et si vous n’avez pas été fidèles dans ce qui est à autrui, qui vous donnera ce qui est à vous?
13 Nul serviteur ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un et aimera l’autre; ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon.

Si le début est compréhensible, lorsque l’on atteint le verset 9, la stupeur nous envahit. Tout le monde comprend que le « moi » fait référence au narrateur, à savoir le Messie. Il inviterait donc à agir comme le personnage de la parabole. Dans un deuxième temps, on peut aussi se demander comment les injustes (ce sont des amis obtenus par de l’injustice) pourraient accueillir les Justes dans l’au-delà. Tout cela ne semble pas avoir grand sens.
Il est tout à fait normal d’être choqué par le verset 9. C’était l’effet escompté. Il ne s’agit en aucun cas d’une invitation, mais d’une mise en garde de lecture de la parabole. Avec un soupçon d’ironie. Généralement dans les paraboles évangéliques, par exemple celle du fils prodigue, le maitre est le Créateur, ou bien il s’agit d’un roi. Il vient tantôt rendre les comptes, tantôt laisser sa Parole en dépôt, tantôt guider. Ici, le maitre n’est pas Dieu. Le maitre de  la parabole est le Satan. Il est le père des enfants du siècle. Comprenons que ses adorateurs sont les gagnants du monde d’ici-bas. Son intendant est un sorcier. Faut-il voir l’économe de la parabole comme le chef des sorciers, une sorte d’antichrist? A voir. En tout cas, voilà un administrateur des affaires de l’adversaire. Dans cette hypothèse, nous pouvons en déduire la nature de ce qu’il prête à ses adeptes. Du pouvoir, de l’emprise, tout ce qui peut être basé sur le mensonge. Après tout, le seul pouvoir du Satan est de tromper le monde par ses fariboles. Une de ses meilleures tromperies, et je crois que c’est celle là qui fonctionne avec cette parabole, c’est l’exorcisme. La possession induit un mal occulte, qui peut se traduire par une maladie en lien avec le psychique. Certains diront psychosomatique. Lassés par les souffrances, en ayant testé toutes les solutions thérapeutiques, certains en viennent, en désespoir de cause, à se tourner vers des gens qui leur promettent la guérison. Ces guérisons sont basées sur des remèdes obtenus grâce à la pratique de l’occulte. La sorcellerie étant condamnée fermement dans les textes et par les responsables religieux sérieux, l’objectif du sorcier moderne va être de crédibiliser son action en se servant uniquement du Livre et en montrant qu’il ne récite ou écrit que des invocations/versets légitimes. Pour la plupart, son exposé semble correct, mais il y a toujours une petite faille dans le raisonnement qui invalide toute la procédure. Les plus grands sorciers, à notre époque, sont ceux qui se présentent comme des Justes. Les exemples ne manquent pas et nous en avons déjà parlé. J’ai été confronté au sujet de très près.
Il faut bien comprendre que quand la parabole dit que l’intendant va être renvoyé, cela signifie que le sorcier prétend qu’il va délaisser ses pratiques occultes, tourner le dos au diable, et se repentir au Créateur. Nous comprenons rapidement, que s’il continue à agir au nom de son maitre auprès des débiteurs, il ne cesse pas son activité de sorcier. Sa promesse de repentir est donc un mensonge. Mais qui compte-t-il tromper? Dieu? Non bien sur, c’est impossible. Le diable? Pas plus. On ne trompe pas le père du mensonge. D’ailleurs il félicite l’intendant pour sa démarche. Les débiteurs? Non plus, puisqu’ils demeurent dans la dette avec l’adversaire. Le sorcier a pour objectif de tromper les Justes et les prophètes. Lorsqu’un prophète est en ministère, le but principal d’un sorcier, qu’il soit chef ou simple disciple du mal, est de contrecarrer le prophète. Il est toujours plus efficace de faire les choses en rampant par le coté. C’est signé. Il ne s’agit pas tant de pourrir la vie du prophète, car les sorciers et les démons ne se refont pas, et les prophètes sont entrainés à ça, mais d’avantage d’égarer ceux qui pourraient devenir ses disciples. Le sorcier entend démontrer que le prophète est un usurpateur en lui tendant un piège. Il espère réussir.
Le Coran nous informe que le diable profite des espoirs des Justes pour glisser ses mensonges (22.52-53). Il ne faudrait pas qu’il croit, ou ses adeptes, qu’il puisse lui aussi  avoir des espoirs, comme la réussite dans l’égarement des Justes. Le diable ne sert qu’à élever les Justes à travers les épreuves qui ont été voulues par le Créateur.

Je fais ici une connexion avec un autre passage évangélique:

Mt 12.24 Les pharisiens, ayant entendu cela, dirent: Cet homme ne chasse les démons que par Béelzébul, prince des démons.   ₂₅ Comme Jésus (connaissait) leurs pensées, il leur dit: Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté, et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne peut subsister. ₂₆ Si Satan chasse Satan, il est divisé contre lui-même; comment donc son royaume subsistera-t-il?
₂₇ Et si moi, je chasse les démons par Béelzébul, vos fils, par qui les chassent-ils? C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. ₂₈ Mais, si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc venu vers vous.

Selon ma compréhension, et la théologie qui en découle, le mal est par essence divisé en lui-même. Ce sont d’ailleurs parmi les premiers enseignements que je vais recevoir durant ma « formation » initiale de l’année 2012.  « Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté »: c’est exactement mon propos. Il est clair que ce passage, tel qu’il est traduit ici, reflète une pensée en lien avec les exorcismes dispensés par des disciples chrétiens plus tardifs, c’est à dire en dehors de la Loi. Les interdits alimentaires prennent toute leur importance dans ce cadre par exemple. Il y a surement un récit de base, mais il a été réinterprété pour répondre à une problématique. La version de Marc en atteste. Le souci c’est que, visiblement, le rédacteur n’a jamais expérimenté le sujet et livre sa compréhension. Dans l’absolu le royaume de Satan ne peut subsister. Il n’a pas de futur vis-à-vis de l’éternité. Il n’est que temporaire. Ce n’est qu’une question d’échelle de temps et il ne convient pas de raisonner selon l’échelle de la vie humaine. Les pharisiens ne sont certainement pas en train d’affirmer que le Messie invoque nommément le prince des démons pour exorciser. Ils considèrent simplement que ses exorcismes sortent du cadre prescrit par la Loi, c’est la définition de faire appel à Satan dans la pratique des rites. La suite appuie mon propos:

12.30 Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse.

Ils ont d’ailleurs raison de se poser des questions, ce n’est pas un sujet à prendre à la légère. Il faut se replacer dans le contexte: nous ne sommes que des lecteurs de ces évangiles. Il n’y a donc rien à leur reprocher d’une certaine manière. C’est d’ailleurs ce que laisse entendre la fin de la citation puisque le Messie les invite à le reconnaitre et il est sur la défensive. Ensuite, il est dit que le Messie connait leur pensées, ce qui implique le don d’omniscience, qui est un attribut uniquement divin. Voyons le texte original:  Ἰησοῦς τὰς ἐνθυμήσεις αὐτῶν . Littéralement signifie: Jésus les pensées leurs. Il n’y a donc aucun verbe d’action ici. Déjà, ce que l’ on peut dire c’est que le texte est contextuel et n’est pas la parole rapportée en elle-même, mais la notion de connaissance n’est ici que totale interprétation. Il me semble avoir déjà entendu des chrétiens argumenter sur la divinité du Christ en se servant de ce genre de verset. C’est le plus formidable exemple de raisonnement circulaire.  Dans ce passage, la parole des pharisiens est explicite, il n’y a rien de divin à comprendre ce qu’ils reprochent. Les deux camps font appel à la raison. On traduira par « il en déduisit leurs raisonnements ». En abordant Luc, nous constatons que le passage a été tronqué car voici ce qui est dit par la suite:

Luc 11.21 Lorsqu’un homme fort et bien armé garde sa maison, ce qu’il possède est en sûreté. 11.22 Mais, si un plus fort que lui survient et le dompte, il lui enlève toutes les armes dans lesquelles il se confiait, et il distribue ses dépouilles.

Si Satan dompte l’homme, cela signifie qu’il s’est soumis à lui. Les armes sont les rites institués qui deviennent inutiles.

11.24 Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, il va dans des lieux arides, pour chercher du repos. N’en trouvant point, il dit: Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti;11.25 et, quand il arrive, il la trouve balayée et ornée. 26 Alors il s’en va, et il prend sept autres esprits plus méchants que lui; ils entrent dans la maison, s’y établissent, et la dernière condition de cet homme est pire que la première.

Je ne saurais trop dire ce que signifie les lieux arides, tout ce qu’il faut retenir c’est que la condition du démon est bien meilleure lorsqu’il se trouve un hôte. Balayée et ornée signifie que, par sa désobéissance à la Loi, l’hôte est devenu un encore meilleur lieu de repos pour les démons. La brèche initiale s’est agrandie. Ce passage va exactement dans le sens de ce que je dis ici, puisque il y a bien eu un exorcisme réussi qui débouche sur une emprise diabolique plus grande. Nous comprenons que soit le texte grec est mal traduit, soit il a été mal rapporté à l’origine.

Les pharisiens ajoutaient  des traditions humaines à la Loi mosaïque, ce qui pouvait être vu comme une manière indirecte d’agir en dehors de la Loi. Le fait qu’ils accusent  sans preuves solides révèle une intention calomnieuse, incompatible avec la justice mosaïque. Le Messie ne nie pas la possibilité d’agir « par Satan, » c’est-à-dire en dehors de la Loi. Il semble même suggérer que ses accusateurs pourraient être eux-mêmes coupables de cela. Sa réponse invite ses interlocuteurs à une introspection profonde sur leur propre conformité à la Loi. En dénonçant l’incohérence de leurs accusations, il ne fait pas seulement une défense personnelle ; il remet en question tout un système spirituel et moral corrompu. Enfin, ne pas reconnaitre les Signes implique une désobéissance:

Ex 17.7 (…) parce qu’ils avaient tenté l’Éternel, en disant: L’Éternel est-il au milieu de nous, ou n’y est-il pas?

La parabole de l’économe infidèle n’avait pas pour vocation d’être comprise par les disciples et par les chrétiens en général. Elle devait rester hermétique jusqu’à maintenant. Son but était de confondre les coupables qui ont trahi le dépôt de la Parole à leur dépens. Le Messie se réservait à lui seul le droit de fournir la clef de compréhension et d’exposer tous ceux qui entendaient le faire chuter.
Aux questions: Qui vous confiera les véritables? Qui vous donnera ce qui est à vous? La réponse est: Dieu. Par opposition à ce qui précède des versets 11 et 12, et qui est lié au diable (autrui et ses richesses injustes).

13 Nul serviteur ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un et aimera l’autre; ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon.

Paix sur les âmes de bonne volonté

 

Bonus actualité (sous-traité par le Chat):

Votre parallèle entre l’intendant infidèle, le récit du Satan divisé et l’actualité, notamment les vœux du président français, est très intéressant. Dans l’analyse de l’économe infidèle, il est question de division dans les priorités et les choix, de servir deux maîtres ou d’agir sans une véritable fidélité. La situation politique actuelle, avec des divisions internes dans un pays, pourrait être vue comme une illustration de cette même dynamique. En cherchant à s’excuser et à apaiser la division, un leader, comme le président français, tente de réconcilier des intérêts divergents, mais peut-être au détriment de la sincérité dans les actions à long terme, tout comme l’économe infidèle qui agit pour son propre intérêt immédiat plutôt que de respecter un engagement fidèle et cohérent.

La division à laquelle il fait référence peut symboliser un conflit interne ou un manque d’unité dans la société, un peu comme la division dans le royaume spirituel que Jésus évoque avec Satan. Une division dans le corps social, tout comme une division dans le royaume spirituel, peut paralyser l’effort commun et rendre difficile la mise en œuvre de réformes ou de décisions qui bénéficieraient à l’ensemble.

Si l’on pousse cette réflexion, on pourrait également voir dans cette démarche de réconciliation une forme d’ »exorcisme politique », où l’objectif serait d’expulser les dissensions internes et de retrouver une certaine unité. Mais, comme pour l’économe infidèle ou les accusations contre Jésus, la question de la sincérité dans les motivations et les actions reste centrale. Un tel geste de réconciliation est-il authentique ou vise-t-il simplement à apaiser des tensions superficielles, sans résoudre les véritables problèmes sous-jacents ?

Le parallèle entre l’intendant infidèle et un dirigeant qui tente de réduire la division, tout en poursuivant des objectifs contradictoires, soulève des questions sur la fidélité et la loyauté, que ce soit dans une dimension politique ou spirituelle. Les dirigeants peuvent chercher à « rassembler » pour réduire la division, mais cela nécessite une cohérence dans leurs actions, et la véritable unité ne peut être atteinte que si les actions correspondent aux paroles.