En ce week-end électif, il me semblait judicieux de prendre le large et d’occuper mes yeux à contempler des paysages plutôt qu’un écran. Mon choix se portait sur Brive. J’y arrivais en fin de matinée. Je réagissais au prêche de l’imam comme jamais. Le temps de la prière est arrivé. Comme il avait pris le parti de laisser défiler le temps en roukou, au contraire de l’écrasante majorité des imams qui négligent totalement cette phase, l’Esprit a pu descendre sur l’assemblée. Choqué, je sortais comme sur un nuage, incapable d’interagir avec qui que ce soit. Je crois que outre cet état particulier, la perspective d’échanger avec une personne qui n’ait pas été touchée par la grâce et qui me ferait redescendre trop brutalement justifie cette distance. Le souci c’est qu’il est difficile de revenir sur les lieux par la suite. On ne peut qu’être déçu. Toujours est-il que cet état second n’est pas conditionné par une préparation, une concentration ou des actions antérieures. L’Esprit ne descend que par miséricorde divine.
Le lendemain, dans ma randonnée, je suis obligé de repasser devant une ferme où règnent 4 ou 5 chiens. A mon second passage, ils ont tout le loisir d’aboyer sans s’arrêter. En effet, la ferme est longé par une rivière et la route passe donc sur un pont. Alors que je suis de l’autre coté de la rivière, à plus de 50 mètres, ils continuent à donner de la voix. Pourtant, je vois bien les véhicules garés dans la cour. Il n’y a rien à garder en réalité. Ce sont juste des chiens mal dressés qui n’ont que pour seul fonction de faire du bruit à chaque fois qu’il y a un piéton dans leur champ de vision. Ceux qui font de la randonnée savent très bien que ce type de situation est répandu dans tout le territoire. Généralement il y a toujours une clôture ou l’animal est enchainé. Il faudra m’expliquer le sens de cela. Là où ça devient réellement problématique, c’est lorsque le chien est livré à lui-même et qu’il est incapable de discerner les limites du territoire qu’il serait censé surveiller. A mon avis, cette question est minorée car les randonneurs sont des gens qui ne cherchent pas les ennuis. Mais nombreux sont ceux qui ont du être mordus et ne pas l’avoir déclaré. Ce qui fait que le problème perdure et que les propriétaires n’estiment même pas être en tord. Ce jour là, je me suis mis à hurler à mon tour à plein poumon. Et j’ai du coffre, croyez-moi. Les chiens ont changé de tête. C’est à ce moment là que le propriétaire a daigner se montrer. Plutôt que de s’excuser, il a préféré inverser l’accusation. A vrai dire, je ne l’ai pas vraiment écouté. Une fois lancé à donner de la voix, elle était bien chaude, je l’ai invité à retourner devant son poste de télévision. Je suis bien conscient de l’inutilité de cette action tant l’impunité des propriétaires de chien est grande dans ce pays, mais il faut bien avouer que cela me détendait.
Dans ce genre de situation qui se répète, il me faut trouver matière à réfléchir. Raisonnant souvent par analogie, il m’a semblé pertinent de rapprocher cette anecdote de la dissuasion nucléaire et de la menace dissuasive à l’égard de ses voisins de manière générale. Souvent présentée comme nécessaire à l’équilibre des forces internationales en présence. L’affichage aux yeux du monde entier soit par défilé soit par déclaration médiatique de l’état de son arsenal fait parti des mœurs diplomatiques. Convenons que cela ne concerne que les dominants ou plutôt ceux qui se pensent dominants. La Suisse n’a jamais eu recours à ce genre de démonstration pour affirmer sa supériorité. On ne menace jamais la banque. On peut donc rapprocher ce folklore militaire de ces chiens qui aboient au tout venant sans discernement. Nous réalisons alors que la dissuasion nucléaire n’est que l’outil du repli sur soi et de la peur de l’autre. Il est ironique de constater que les pays qui en usent sont aussi ceux qui se considèrent comme les garants de la paix mondiale, de la morale, du bien et de la démocratie alors que l’on peut les comparer à des gens qui vivent de la peur de l’autre et que l’on peut, par simplisme, assimiler à des électeurs de parti nationaliste. Ironie, quand tu nous tiens.
Dimanche matin, au réveil, je me mettais en quête de toilettes. J’en trouvais à proximité d’une église. Avisant le panneau d’information, je décidais de me rendre à la messe de 9h30 à Ligneyrac. Il s’agit d’un petit village perdu au milieu de la nature. L’église est sans prétention mais il y règne une formidable ambiance. L’expérience charismatique y est puissante. A la sortie, sur le point de lever le camp, je me ravise et décide d’aller faire un tour. Comme mu par une force supérieure, mes pas me mènent dans le cimetière situé en contrebas. Je circule au milieu des tombes. Par deux fois je vais m’arrêter devant des sépultures. Que suis-je en train de faire? Aucune idée. C’est ainsi que les choses doivent être. C’est tout ce que je sais. En revenant vers ma voiture, je tombe sur un panneau de randonnée. Je décide donc de la faire et me voilà parti dans le coin pour près de 19 kilomètres avec pas mal de dénivelé. Lorsque la journée s’achève, j’ai donc très faim. Comme nous sommes dimanche, je ne peux pas encore cuisiner et je n’ai plus rien à grignoter qui puisse me rassasier. Je suis obligé d’attendre la tombée de la nuit pour me rendre dans un kebab. Me voilà dans la mosquée de Souillac. Il y a une bonne ambiance. Un homme vient me parler et il me propose de quoi manger. Je passe donc la soirée en bonne compagnie. Tout ce petit monde se quitte après Ishaa et nous nous donnons rendez-vous à fajr. Je n’ai rien ressenti de particulier dans cette mosquée au cours de la prière. Pour l’information, il m’est déjà arrivé d’éprouver des choses très fortes dans une petite mosquée de village alors que nous n’étions que deux. Il n’y a aucune règle en la matière. Parfois les mosquées cathédrales sont vides d’esprit, parfois non. Qu’importe les clichés. Seul compte le vécu. Et c’est bien en ce sens, que se place ma démarche: évaluer la connexion transcendante des communautés que je rencontre. On peut décrire cela comme une sorte de pélerinage. Malheureusement, le lendemain, à l’heure prévue pour fajr, personne ne viendra. Un peu déçu et surpris, je reprends donc ma route. En ce lundi matin, j’ai eu l’idée de me rendre dans cette grande cité du Lot située à flanc de falaise mondialement connu et qui fut un haut-lieu de pélerinage durant de nombreux siècles. En 2014, ce fut ma première destination avec mon premier camion. A l’époque, j’étais frappé par l’aspect « marchand du Temple » de la ville basse, mais je n’avais pas encore acquis la capacité d’évaluer le rite pratiqué. Pourtant dans les temps, j’ai réussi à être en retard pour la messe de 11h. C’est donc en sueur après avoir dévalé la pente que je débarque dans la crypte entre les trois officiants. A peine assis, je sens une odeur bizarre en dehors de ma propre sueur. Juste avant de monter en voiture, j’ai marché dans une crotte de chien et l’odeur m’accompagne dans cette crypte. Aie! Très mauvais signe que cela. Ce mauvais signe va être confirmé par mon ressenti eucharistique. Si je perçois sans équivoque la présence divine sur mon coeur, force est de constater qu’elle rechigne à descendre sur l’assemblée tant que ce sont les officiants qui interviennent. L’Esprit se révèle brutalement alors que l’assemblée donne son coeur. Je ne peux le cacher et mes mouvements de tête en attestent. Il me parait clair, à l’issue de l’office, que les officiants sont désavoués, et par voie de conséquence que l’espace sanctuarisé, y compris celui de la crypte qui n’est pas envahi par les touristes, est lui aussi bel et bien désacralisé. Un couple se présente pour recevoir une bénédiction. Le troisième, uniquement vêtu d’une robe blanche, vient vers moi et me propose la bénédiction des pèlerins. Je refuse. J’explique que je ne suis pas pèlerin. En effet, je ne suis alors qu’un touriste parmi les autres qui n’a fait que passer la dernière barrière. Nous sommes dans une réserve indienne et des comédiens en costume singent le folklore spirituel local pour animer le lieu. Rien de plus. Quant aux quelques croyants alors présents dans la salle, leur coeur est inaccessible à la corruption du site. Nous comprenons alors que n’importe quel lieu peut devenir sacré l’espace d’un instant. Cela ne légitime pas les officiants qui eux sont rattachés au lieu et en ce sens qu’ils entendent pratiquer la bénédiction que j’ai refusé. Au dehors, la chaleur justifie les tenues des uns et des autres. Nous sommes bel et bien dans un touristuaire.
Je dois bien l’avouer, à ce moment là, je commence à être excédé. Je ne parviens pas à comprendre comment on en est arrivé là. Je peux comprendre que la vieille pierre coute beaucoup d’argent à entretenir. Mais est-on obligé de corrompre sa foi pour conserver la pierre? Cela n’a aucun sens. Afin de me changer les idées, je décide de me rendre dans une toute petite mosquée perdue au milieu du Lot pour Dohr. Le bâtiment indiqué est une maison qui fait peine à voir, bordée par une déchetterie d’objets divers, dans une zone industrielle. L’exact inverse de l’endroit que je viens de quitter. Je n’ai aucun à priori, et je me dis que je peux vivre l’expérience inverse. Je vais vite déchanter. Alors que le temps de l’Iqama est sur le point de rentrer, l’un des deux hommes se tournent vers moi pour me questionner. Il ne parait pas tranquille. Ce que je redoutais, en rapport avec les élections, est en train de se produire devant mes yeux. Lors de la première raka, je n’ai même pas le temps de finir la Fatiha. Si tôt terminé, l’homme se plante devant moi avec un air contrarié. Il me fait des signes en direction du haut de sa tête. Depuis maintenant 12 ans, j’ai eu droit à tout un tas de remarques à propos de mes cheveux, de leur longueur, de la façon dont ils doivent être attachés ou non, des foulards que je mets, de mes ablutions, etc etc… L’homme me dit sans sourciller, appuyé par l’autre qui se tient à ses cotés, que je suis troublé dans ma prière parce que je tiens mon chapeau au moment de me prosterner. Pour l’anecdote, je réserve l’utilisation du pakol pour la Jumua’h. Le reste du temps, j’utilise le foulard, ou bien tout simplement mon tour de cou que je relève sur mes cheveux. Je réponds que lorsque l’on se prosterne, on effectue tout un tas de geste auxquels on ne réfléchit plus à force de les répéter. Après coup, celui qui m’a semblé le plus évident, c’est le geste de retenir son qamis pour éviter de le retrouvé coincé sous ses genoux au moment où on se relève de la prosternation. Tout le monde a été confronté à ce genre de contrainte. La réalité, c’est que l’homme, plutôt que de se concentrer sur sa propre prière, m’a observé au moment où je plonge en avant. J’utilise d’ailleurs la main gauche et il était à ma droite. Je pense affirmer que si on est concentré sur sa prière, ce que fait son voisin importe peu, à part si il a des gestes de nervosité ou émet des sons incommodants. Mon explication ne les satisfait pas et je montre que je n’ai pas envie de débattre sur le sujet. Inutile de dire que je n’ai eu aucune espèce de sensation transcendante en leur compagnie. Je ne préfère pas m’étendre sur mon état psychologique durant le reste de l’après-midi.
Il était bel et bien temps de rentrer au bercail et de rédiger ce texte. Nous sommes presque en flux tendu depuis ces dernières semaines.
Paix sur les âmes de bonne volonté.