jeudi 21 novembre 2024

za’er

Au début de mon adolescence, je me voyais offrir un Atari 520 ST. Hélas, au début, je n’avais qu’un seul jeu, d’une dimension ludique restreinte, sur ce qui se voulait être un ordinateur plutôt qu’une console. Pour tromper mon ennui, j’avais renommé une icone du lecteur de disquette du bureau en tapant des lettres au hasard. Il me semble l’avoir fait plusieurs fois. Curieusement, pendant toutes ces années et sans explication rationnelle, une de ces combinaisons de lettres réapparaissait de temps en temps en dessous de l’icone.
Ainsi, le lecteur za’er est resté gravé dans ma mémoire pendant plus de 30 ans.

Le bon dos de la mère

Voilà un long moment qu’une question me taraude. Je me décide enfin à assembler mes idées sur le sujet. Dans le Coran, deux passages m’ont intrigué et sont liés à une expression qui lui est propre. De ces deux passages ont découlé de la jurisprudence islamique sur la question de l’institution sacrée du mariage. Il ne s’agit donc pas d’une question anecdotique. Voici les extraits:

58. 1 Allah a bien entendu la parole de celle qui discutait avec toi à propos de son époux et se plaignait à Allah. Et Allah entendait votre conversation, car Allah est Audient et Clairvoyant.

2 Ceux d’entre vous qui répudient leurs femmes, en déclarant qu’elles sont pour eux comme le dos de leur mère… alors qu’elles ne sont nullement leur mère, car ils n’ont pour mère que celles qui les ont enfantés. Ils prononcent certes une parole blâmable et mensongère. Allah cependant est Indulgent et Pardonneur.

3 Ceux qui comparent leurs femmes au dos de leurs mères puis reviennent sur ce qu’ils ont dit, doivent affranchir un esclave avant d’avoir aucun contact [conjugal] avec leur femme. C’est ce dont on vous exhorte. Et Allah est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites

33.4 Allah n’a pas placé à l’homme deux cœurs dans sa poitrine. Il n’a point assimilé à vos mères vos épouses [à qui vous dites en les répudiant]: « Tu es [aussi illicite] pour moi que le dos de ma mère. » Il n’a point fait de vos enfants adoptifs vos propres enfants. Ce sont des propos [qui sortent] de votre bouche. Mais Allah dit la vérité et c’est Lui qui met [l’homme] dans la bonne direction.

5 Appelez-les du nom de leurs pères: c’est plus équitable devant Allah. Mais si vous ne connaissez pas leurs pères, alors considérez-les comme vos frères en religion ou vos alliés. Nul blâme sur vous pour ce que vous faites par erreur, mais (vous serez blâmés pour) ce que vos cœurs font délibérément. Allah, cependant, est Pardonneur et Miséricordieux.      

6 Le Prophète a plus de droit sur les croyants qu’ils n’en ont sur eux-mêmes; et ses épouses sont leurs mères. Les liens de consanguinité ont [dans les successions] la priorité [sur les liens] unissant les croyants [de Médine] et les émigrés [de la Mecque] selon le livre d’Allah, à moins que vous ne fassiez un testament convenable en faveur de vos frères en religion. Et cela est inscrit dans le Livre.

L’expression qui pose question est « le dos de leur mère ». Bien sur, il ne s’agit ici que d’une transcription, mais elle traduit parfaitement l’idée qui se dégage de l’interprétation usuelle du passage et des conclusions qui en découlent. Selon les explications traditionnelles, l’expression proviendrait du monde pré-islamique arabe et serait liée à une coutume pratiquée que le Coran serait venu abolir. Il faut avouer qu’au premier abord, il est assez difficile de se figurer ce que cette expression semble imager. Et lorsque l’on se plonge dans le texte, on perçoit rapidement qu’il y a un problème. Comme souvent, ici l’abus d’emploi des … des () et des [] est l’indice que le sens initial a été tordu. Si le comment et le pourquoi sont généralement hors d’atteinte, on peut toutefois se contenter de redonner du sens à ces passages et, partant, de donner un éclairage nouveau aux problématiques liées ainsi qu’à d’autres dans le processus.

Avant de plonger dans la langue arabe, déduisons quelques indices du texte traduit. Tout d’abord, il est question d’une parole prononcée par un homme. Il ne s’agit donc pas d’une action/inaction ou d’une pensée. Cette parole s’adresse à l’épouse de l’homme marié. Il y a une opposition entre l’épouse et la mère de celui-ci. Elle peut s’en plaindre à une autorité. Cette faute peut être réparée.

A présent, que dit l’arabe?

58.2 Al-Ladhīna (ceux) Yužāhirūna (qui disent le ‘zahir’) Minkum (d’entre vous) Min Nisā’ihim ( à l’encontre de leurs femmes) Mā (non pas) Hunna (elles sont) ‘Ummahātihim (leurs mères) ‘In (alors que) ‘Ummahātuhum (leurs mères) ‘Illā (sont seulement) Al-Lā’ī (celles) Waladnahum (qui leur ont donné la vie)

On comprend mieux alors que cette parole considérée comme une faute à l’égard de sa femme, n’en est pas une vis à vis de sa mère. Ce principe est renforcé par la distinction entre les deux femmes: le don de la vie. Selon l’interlocuteur, une même parole peut être positive ou négative. Il ne peut donc s’agir de répudiation.

Support

La racine du verbe est lié à ẓahri qui signifie « dos », pluriel ẓuhūri. Au sens figuré, on comprend que le dos a une fonction de support principal. Nous retrouvons ce verbe dans les versets 9.4, 33.26 et 60.9 où il est traduit dans le sens de supporter/soutenir (le parti des ennemis des croyants dans les 3 cas).

Nous retrouvons la racine ẓhr ظهر sous diverses formes dans le Coran, certaines expriment l’idée de support/soutien. Dans certains cas il s’agit de prendre le parti des croyants et dans d’autres celui de leur opposants. Une faute dans un cas, un bien dans un autre.
Nous pouvons donc déduire de tout cela que les deux passages que nous étudions ont trait au support de la femme par son mari. Dit comme cela, on pourrait se demander ce qu’il y a de négatif. C’est qu’en fait, la notion de soutien implique la notion de responsabilité. C’est bel et bien celui qui est responsable qui reçoit l’allégeance de son soutien et son obéissance. Au sein du couple, que ce soit dans la Torah, l’Évangile ou le Coran, c’est toujours l’homme qui endosse la responsabilité. N’en déplaise à ceux dont l’idéologie dépasse la réflexion. L’homme commet donc une faute s’il déclare s’en remettre à sa femme et à déléguer sa responsabilité. Il ne s’agit donc aucunement de répudiation comme l’interprétation usuelle le laisse entendre. Quant à sa mère, l’homme lui doit naturellement obéissance de par les lois de paternité. Ce verset établit les règles de transmission des enseignements verticalement et horizontalement afin que chacun trouve sa place.

Une traduction plus juste serait:

2 Ceux d’entre vous qui font endosser (leur responsabilité) à leurs femmes, alors qu’elles ne sont nullement leur mère, car leurs mères sont seulement celles qui les ont enfantés. Ils prononcent certes une parole blâmable et mensongère.

Dans le deuxième passage, il est question des deux coeurs. Une hypothèse serait que la chaîne de transmission des enseignements de la Révélation est la filiation. Si un homme abandonne sa charge de transmission au profit de sa femme, il casse cette chaîne de transmission et donc le cœur qui l’anime. Le maillon suivant, l’enfant, se trouve divisé entre deux autorités, il a le coeur divisé. Voilà pourquoi l’enfant adoptif n’est qu’un frère en religion puisque la responsabilité revient à son père biologique. Le verset 6 indique que le Prophète, paix sur lui, ainsi que ses femmes, constituent la source des enseignements et prédominent sur quiconque. C’est une sorte de remise à zéro des enseignements transmis auparavant et parvenus jusqu’aux croyants.

Apparent

Le deuxième sens que la racine ẓhr ظهر peut prendre est lié à l’apparence. Le verbe peut se traduire alors par « apparaître (clair) ». Traitons le verset 9.8, ainsi traduit:

8 Comment donc ! Quand ils triomphent de vous, ils ne respectent à votre égard, ni parenté ni pacte conclu. Ils vous satisfont de leurs bouches, tandis que leurs cœurs se refusent; et la plupart d’entre eux sont des pervers.

Il y a ici un contresens que la fin du verset révèle. En réalité, kayfa, qui introduit le verset n’est pas lié à ce qui suit directement mais à ce qu’il y a après. Pour comprendre, nous retrouvons cette tournure en 18.20. Une traduction correcte du sens serait:

Comment, si vous leur apparaissez, ne respectent-ils pas ni parenté ni pacte de soumission?

Si ils dominaient, ils ne seraient pas hypocrites.

A présent, intéressons-nous à un long passage de la sourate Ghafir. On nous présente un personnage dans le verset 28:

40.28 Et un homme croyant de la famille de Pharaon, qui dissimulait sa foi dit: « Tuez-vous un homme parce qu’il dit: « Mon Seigneur est Allah ? » Alors qu’il est venu à vous avec les preuves évidentes de la part de votre Seigneur. S’il est menteur, son mensonge sera à son détriment; tandis que s’il est véridique, alors une partie de ce dont il vous menace tombera sur vous. » Certes, Allah ne guide pas celui qui est outrancier et imposteur !      

S’ensuit une longue citation entrecoupée, où la mention « Ô mon peuple » apparaît 6 fois introduisant des exhortations. Voici la première:

29  Ô mon peuple, triomphant sur la terre, vous avez la royauté aujourd’hui (lakumu al-mulku al-yawma ẓāhirīna fi-l-ard). Mais qui nous secourra de la rigueur d’Allah si elle nous vient? 

Le peuple est bien celui d’Egypte et non les bani Israil. Cette traduction peut faire sens puisqu’elle indique qu’au moment où ces paroles sont prononcées, l’Egypte est un empire au sommet de sa gloire et qu’il est sur le point de décliner définitivement. Mais cette domination, qui a connu des variations, a perduré antérieurement sur plusieurs siècles. Le mais, introduit ici pour créer une opposition n’existe pas et c’est donc ainsi que je traduirais:

29 Ô mon peuple, à vous apparaît sur terre la royauté de ce jour. Alors qui nous secourra de la rigueur d’Allah si elle nous vient? 

Dans la suite, l’homme évoque la venue de Joseph, paix sur lui et comment il fut désavoué par son peuple. Pourtant jusqu’à ce moment là, celui-ci n’avait subi aucun châtiment en conséquence comme cela a pu être le cas avec d’autres prophètes comme Hud, Salih, Lot, paix sur eux, etc. Le verset 29 annonce l’heure des comptes de cette période (al-mulku al-yawma) et l’apparition au grand jour (ẓāhirīna fi-l-ard) d’entre les mains de qui la royauté est. On peut faire le lien avec le Maliki yawmi din de la Fatiha qui désigne l’heure des comptes finale.

Nous trouvons ailleurs un autre groupe triomphant, totalement opposé:

61.14 Ô vous qui avez cru ! Soyez les alliés d’Allah, à l’instar de ce que ‘Isa (Jésus) fils de Maryam (Marie) a dit aux apôtres: « Qui sont mes alliés (pour la cause) d’Allah ? » -Les apôtres dirent: « Nous sommes les alliés d’Allah. » Un groupe des enfants d’Israʾil (Israël) crut, tandis qu’un groupe nia. Nous aidâmes donc ceux qui crurent contre leur ennemi, et ils triomphèrent (fa-aṣbaḥū ẓāhirīna).

Il est clair que si Allah a bien soutenu les disciples du Messie à sa première venue pour ne pas qu’ils disparaissent, ils n’en sont toutefois pas devenu des dominants. Le christianisme triomphant n’est pas lié à un groupe des bani Israil. On pourrait suggérer qu’ils sont devenus visibles, qu’ils sont apparus aux yeux de tous comme un groupe à part entière et dont il a nécessité à chacun de se définir par rapport à lui (la birkat haMinim). Mais je pencherais plutôt pour une autre solution. Sachant qu’ils étaient persécutés par les romains et écartés des synagogues, leur existence et leur continuation dans le temps n’a pu être possible que parce qu’ils étaient détenteurs de la Révélation. Et pour être détenteur de la Révélation, il faut s’être soumis à la Vérité. Ils ont donc été des soutiens, des piliers. Ils ont endossé la Révélation. Nous pouvons alors traduire par:

Nous aidâmes donc ceux qui crurent contre leur ennemi, et ils devinrent endosseurs.

Derrière le dos

Nous allons nous tourner vers une des mentions du récit de la prophétie de Chu’ayb, paix sur lui.

11.91 Ils dirent: « Ô Chu’ayb, nous ne comprenons pas grand chose à ce que tu dis; et vraiment nous te considérons comme un faible parmi nous. Si ce n’est ton clan, nous t’aurions certainement lapidé. Et rien ne nous empêche de t’atteindre. »      

92 Il dit: « Ô mon peuple, mon clan est-il à vos yeux plus puissant qu’Allah à qui vous tournez ouvertement le dos ? wa attakhadhtumūhu warā’akum ihrīyyāan

En découvrant les différentes occurrences de la racine ẓhr, je suis tombé sur cette curieuse forme qui m’a interpellé. En faisant des recherches, il m’est apparu que lorsque l’on veut signifier l’expression « derrière (le) dos », on utilise la forme warāa ẓahri (pluriel: ẓuhūri). Ainsi nous avons: 2.101 warāa ẓuhūrihim (derrière leurs dos), 3.187 warāa ẓuhūrihim (leurs dos), 6.94 warāa ẓuhūrikum (vos dos), 84.10 warāa ẓuhūrihi (son dos). 

Warā’akum signifie « derrière vous« . Il se suffit à lui-même pour être signifiant. De plus, la forme finale en yyāan se retrouve généralement pour désigner un groupe de gens. Citons le verset de la sourate al Imran:

67 Ibrahim (Abraham) n’était ni Juif Yahūdiyyāan ni Chrétien Naṣrāniyyāan. Il était un musulman authentique. Et il n’était point du nombre des Associateurs.

Les Žihrīyyāan ظِهْرِيًّا sont un groupe de gens qui ont endossé la Révélation.
Chu’ayb est l’un d’entre eux: il fait parti des bani Israil. Il est le Jéthro de l’Exode, où, au chapitre 18, il va conseiller à Moise, paix sur lui, d’établir une structure judiciaire pour déléguer ses responsabilités, pour choisir les sages qui vont endosser la Révélation. Il est à noter que dans le verset 49.13 Chu’uban signifie peuples et que Jéthro, Yetro en hébreu, provient de la racine Yathar (strong 3498) qui signifie dans son sens le plus courant: rester. En accolant les deux noms, nous avons: le peuple qui est resté (en Canaan). Si ceux qui lui sont hostiles, certainement des notables liés à la domination égyptienne, car avec le temps qui passe tout groupe finit par s’hétérogénéiser en foi, redoutent son clan, c’est à dire sa Tribu, c’est tout simplement parce qu’il appartient probablement à la Tribu des Lévites, la tribu des prêtres des bani Israil. Il est à noter que les Druzes pensent que la tombe de Chu’ayb est dans le nord d’Israël proche du lac de Tibériade. Celui-ci vit non loin du puits de Madian ( proche de la racine arabe MDD: s’étendre, hébreu madad: s’étendre, le lieu de la promesse faite à Abraham à partir duquel le peuple élu s’étend), la Cité sainte des bani Israil, autrement nommée Sichem dans la Torah, dans la vallée de Moré (elonei Moré: le chêne de Moré, al layka: l’arbre dans le Coran) et du mont Sinaï qui est le mont Garizim.

C’est qu’en réalité, dans la Bible, où il est traduit généralement par épaule (strong 7926), dans le sens de ce qui supporte la charge, mais où on peut également le trouver traduit par dos, et également dans l’hébreu moderne, nous avons le mot שֶׁכֶם translittéré par Shekem.

Cette recherche a débuté le 7 janvier 2015:

La ville désignée par le mot שְׁכֶם est traduite en Sichem.
Les Žihrīyyāan
sont habitants de Sichem

 

 

Notes:

Il existe une sourate dont toutes les rimes sauf quelques versets se finissent en ‘an’. Elle est divisée en deux parties principales. La première rime en ‘yyan’ jusqu’au verset:

Maryam 19:3 Tel est Issa (Jésus), fils de Marie: parole de vérité, dont ils doutent.

Shekem-7926

https://www.stephanpain.com/2015/12/06/salem-et-gomorrhe/

https://www.stephanpain.com/la-phase/

https://www.stephanpain.com/2015/09/22/apologie-du-negationnisme/

https://www.stephanpain.com/2015/12/06/kikkar/

https://www.stephanpain.com/2015/07/14/avant-quabraham-fut-je-suis/

https://www.stephanpain.com/2017/12/23/amram/

https://www.stephanpain.com/2018/01/07/go-down-moses/