jeudi 8 décembre 2016
Je suis un faux calme. Sous des airs impassibles, de la patience, de la maîtrise de soi, se cache une tempête qui bouillonne. J’ai besoin de m’assurer que je suis dans le contrôle de tout, y compris de mes réactions face à l’extérieur. Parce que je n’arrive pas à gérer certaines situations correctement, je vais donc intérioriser et prendre sur moi plutôt que de désamorcer simplement par le consensus. C’est dans ces moments là que se révèlent les meneurs, dans leur capacité à gérer la crise dès ses fondations. Là où la plupart lâchent prise et laissent les choses s’envenimer. C’est donc bien parce que je suis conscient que je n’ai pas les outils pour résoudre les problèmes, que je vais préférer rendre les armes sans combattre. Au moins, on pourra se dire qu’une attitude neutre n’envenimera pas les choses. Mais c’est un leurre, car parfois certaines personnes vous reprocheront votre manque de prise de position et interpréteront votre apparente neutralité comme de la “traîtrise”. En effet, se taire face à l’injustice est une forme d’injustice. Maintenant, nous ne sommes pas tous armés de la même manière, et il est important de connaitre ses propres limites afin de ne pas se retrouver dépassé par les événements. Toutefois, il faut toujours être en accord avec la place que le groupe nous a octroyé et assumer les responsabilités en rapport avec les privilèges obtenus. Par souci d’équité, il est donc essentiel de ne pas briguer la place d’un tiers, si l’on se sait incapable d’assumer toutes les facettes de sa position. Bien souvent, parce que certains n’acceptent pas la position de meneur de quelqu’un, ils vont mener une critique acerbe, généralement dans le dos de la personne au détriment du groupe tout entier. Nous retrouvons ces mécanismes à l’échelle des mouvements politiques. La critique prend la forme de l’opposition, voire de la dissidence.
Lorsque l’on a des lacunes dans sa personnalité, elles peuvent être un frein à l’avancée globale de notre marche vers le bien. En tant que croyant, j’imagine que c’est Dieu qui élabore un scénario pour me permettre de travailler sur tel ou tel registre. Comme je vous le disais en introduction, je n’aime pas perdre le contrôle, je n’aime pas sentir la situation m’échapper. C’est surement pour cela que je n’ai jamais eu vraiment de problèmes de drogue ou d’alcool: je déteste ne plus me maîtriser. Je suis incroyablement frustré quand je ne comprends pas tout ce qui arrive. La frustration peut se muer parfois en colère lorsque le masque social tombe ou lorsque ce masque est absent, ce qui arrive normalement lorsque je suis seul. Le masque social est un outil très puissant, et il est très rare de passer outre. C’est donc bien dans une situation de solitude que va se révéler cet aspect de ma personnalité.
Ces deux dernières années, en partant sur les routes dans mon camion, je me suis découvert une passion pour la randonnée. Ce que l’on pourrait appeler de la contemplation sportive dans un contexte religieux, par opposition à la simple contemplation où le croyant s’isole dans un endroit reculé pour y vivre. Je considère que pour se vider l’esprit, il convient de se vider le corps aussi. C’est surement aussi une compensation de ne plus vivre l’expérience de la Trance. Lorsque l’on part sur la route, les contraintes disparaissent, les soucis aussi. On se retrouve seul avec soi-même. Il ne s’agit pas de fuir puisque les escapades sont courtes, mais de s’octroyer des parenthèses. Dans ce contexte, on pourrait se dire qu’il n’y pas lieu de stresser outre mesure. Mais c’est loin d’être le cas. Surtout lorsque l’on se retrouve face à ses propres travers.
J’ai déjà essayer de cheminer au gré des envies en visant des objectifs que je découvrais. Après de multiples déconvenues à cause des délimitations des propriétés privées, je me suis résolu à suivre uniquement les chemins de randonnée balisés. Ils sont généralement très bien dessinés, vous emmenant aux meilleurs endroits par les sentiers les plus agréables. De temps en temps, malgré tout, parce que tout le monde ne joue pas le jeu, vous serez amenés à emprunter des routes fréquentées et un peu dangereuses. Bien souvent, le chemin de randonnée constitue le seul chemin praticable. S’en éloigner va vous mener à vous perdre et vous emmener dans des détours de plusieurs kilomètres qui risquent de se transformer en heures.
Un de ces jours de randonnée, j’étais sur le chemin du retour. C’est le moment où la fatigue commence à se faire sentir. La faim aussi. Et puis surtout, l’approche de la nuit est une échéance incontournable. Il est impossible de randonner la nuit, surtout lorsque l’on a très peu d’équipement, notamment contre le froid. J’avais suivi les marques jaunes sans aucun problème jusque là. Voilà que je rentre dans une forêt. Celle-ci a été investie par une équipe de bûcherons. Elle est dévastée. Les chemins ont été transformés en vaste mare de boue dans lesquels il est pénible de progresser. Évidement, les bûcherons n’ont que faire des randonneurs, ils sont là pour couper du bois. Aussi, si un arbre porte une marque pour s’orienter, ils vont le couper sans autre forme de procès. Ce qui doit arriver, arrive. J’emprunte la mauvaise direction. Le souci, c’est qu’une fois que vous avez quitté le chemin, il n’y a plus aucune indication. Et comme parfois les marques sont distantes de plusieurs kilomètres parce que placées uniquement aux intersections, on ne réalise son erreur que bien longtemps après. J’arrive donc à un nouveau croisement. Les arbres sont intacts et il n’y a aucune marque. Je dois donc me résoudre à faire demi-tour. Mais il y a toujours un doute, car parfois lorsque la direction est évidente, elle n’est pas précisée: il suffit juste de continuer tout droit. Autant vous dire que quand je considère tout ce que je dois faire à l’envers, j’ai tendance à m’énerver. Surtout quand on réalise que cela ne tient qu’à la négligence d’une seule personne. Plus le temps passe et plus je bouillonne. Sans compter qu’une fois revenu à l’entrée de la forêt, la solution n’était pas si simple à trouver. J’ai donc continué à maugréer pendant un petit moment. Une bonne nuit de sommeil, et on oublie les bûcherons, les arbres et les balises fantômes. Le lendemain, me voilà de nouveau en marche. La journée se déroule sans problèmes. Me revoici dans les derniers kilomètres. De nouveau une forêt. Cette fois, le terrain a été tellement défoncé par les machines, que toute trace de chemin a disparu. Il n’est même plus question de chercher une balise. Je me retrouve rapidement au milieu de nul part. Décidément. Je fulmine. Comme la veille. Je finis par maudire à haute voix les bûcherons. Seul dans la forêt, il y a moyen de se lâcher. Je sors mon téléphone pour me repérer grâce au GPS, mais il ne capte pas. Il ne m’est d’aucune utilité. Je n’ai pas de carte, je ne sais pas où je suis. Le temps passe, la lumière décline. Je n’ai qu’une envie, arriver. Et je tourne en rond sans aucun moyen de me repérer. Une nouvelle fois, j’ai cédé à la colère. Aucune limite: il n’y a personne pour m’entendre. Personne, sauf Dieu. Et si Il m’a mis dans cette situation, c’est bien pour me mettre face à moi-même. Mais je suis incapable de le comprendre, je suis bien trop occupé à trouver un sujet pour focaliser ma colère.
Cette situation s’est répétée de nombreuses fois. Toujours au même moment. Et toujours, je me suis énervé de la même manière. Elle s’est prolongé lors d’autres séjours. Ailleurs et à un tout autre moment. Tant que je ne réussissais pas à me comporter sereinement face à cette situation de perte de contrôle, elle allait se répéter sans fin. Cette répétition venait ajouter un élément de frustration à l’ensemble. Comment expliquer cette “malchance” systématique dans des lieux qui n’ont aucun lien entre eux? Cela n’avait pas de sens. Cependant, à force de maugréer, j’ai fini par admettre qu’il s’agissait bien là d’une épreuve. Le Créateur montre son emprise totale. Rien ne peut se faire qu’il ait décidé. Il faut l’admettre. Mais l’admettre vraiment, pas juste de manière théorique en le répétant comme un mantra après la lecture de hadiths. Il me fallait comprendre que parfois il faut aller de l’avant sans être assuré de la bonne voie, qu’il faut savoir lâcher prise. Lâcher prise réellement. Malgré cela, ça ne m’a pas empêché de m’énerver de nouveau. Que voulez-vous, l’humain est ainsi fait. Au fond, ai-je vraiment retenu la leçon? En théorie oui. Cet article en est la preuve. Mais, dans les faits, je ne saurais être si affirmatif. Récemment, j’ai été poussé dans mes derniers retranchements en matière d’absence de contrôle. Force est de constater que je n’ai pas fait face de la meilleure manière. A la différence près que je ne suis pas seul au fond d’une forêt. Mes actes vont avoir des répercussions sur autrui. Mon comportement conditionne ma vie future. Si effectivement, il existe des situations de la vie où l’on peut être replongé jusqu’à adopter le meilleur comportement et que cette répétition n’a aucune incidence, ce n’est pas le cas lorsque les sentiments, la confiance en l’autre sont engagés. Il y a des échéances, des changements de direction, la déception, de résolutions fermes. L’histoire peut prendre un autre chemin. Enfin, c’est ce que l’on peut supposer. Car si l’imbrication de la prédestination et du libre-arbitre est déjà quelque chose de terriblement dur à comprendre, cela se transforme en véritable casse-tête dans le contexte de la relation homme-femme. Prédestination d’une âme-sœur quelque soit le chemin suivi? Formation d’un couple par construction et succès aux épreuves de deux individus? (Nous nous trouvons alors avec les “gagnants” d’une sorte de compétition.) Ou bien ni l’un ni l’autre, mais juste un assemblage “aléatoire” basé sur des critères de piété qui va être le moteur des efforts consentis pour faire face aux épreuves de la complémentarité (le salut peut alors dépendre du résultat final). Je réfléchis à la question depuis de nombreuses années maintenant. Je suis toujours bien incapable d’émettre une théorie. Est-ce seulement à notre portée? Possible. Peut-être qu’en réalité, tout ce qui m’arrive depuis ces derniers mois est destiné à me forcer à trouver la solution. Je ne le saurai qu’au moment voulu. Peut-être aussi qu’il n’y a tout simplement rien à comprendre, et qu’il faut se conter de vivre, de ne pas théoriser et que c’est la seule chose que je dois admettre. Pour l’instant je suis dans la forêt et les bûcherons ont coupé l’arbre au signe.
Sacrés bûcherons.