Dernières modifications le 6 décembre 2016·4 minutes de lecture
Janvier 1996. Depuis l’obtention de mon permis moto, obtenu en Juin de l’année d’avant, j’avais parcouru 10.000 kilomètres. J’étais alors en deuxième année aux Arts à Talence. J’avais pris un peu de retard dans la validation de mes UVs, mais ce n’était pas encore irrattrapable. La prochaine session d’examens était pour bientôt, mais je n’étais pas dans les meilleures conditions dans la mesure où je venais de me faire quitter par ma copine de l’époque. Ce jour-là était la journée de l’ingénieur. J’avais choisi d’aller visiter le centre de l’Aérospatiale à Mérignac. Nous étions 6 à nous y rendre. Ils s’entassent à 5 dans une petite voiture tandis que je prends ma moto. Il pleut des cordes. En ce matin d’hiver, il fait encore nuit alors que nous prenons la rocade surchargée des embouteillages du matin. Je ne suis pas bien réveillé. Néanmoins, je passe entre les files plutôt que de rester coincé. A un moment la file de gauche ralentit fortement. Sur la droite, il y a un semi-remorque qui prend de la place en largeur. L’une des voitures se déporte sur la droite au freinage. En un instant je vois qu’il n’y a plus assez de place pour passer entre elle et le camion. Dans un réflexe, j’attrape le frein avant. La roue décroche sur la chaussée détrempée. La moto se couche tandis que je pars de mon coté en tapant violemment du genoux par terre. Dans un instant qui me parait durer une éternité, je roule en boule sur le sol. J’entends les roues du triple essieu arrière de la remorque siffler en tournoyant autour de moi. La mort me tourne autour. Je me relève. Le camion a poursuivi sa route. La moto est venu s’encastrer sous la voiture de l’homme qui s’est déporté. Moi, je suis beaucoup plus loin. J’ai du chuter à 80 km/h environ et fait des roulades jusqu’à m’arrêter. Les autres arrivent. Un camarade vient me porter secours. Je suis incapable de relever la moto. Je suis bien trop choqué. Une voiture ralentit. “Bien fait pour toi!” me lance le conducteur. Ils appellent l’école. Ils viennent me chercher avec le camion de l’asso des élèves. On monte la moto puis l’on rentre. A ce moment là, je n’ai que très peu d’images en tête de l’accident. Mon cerveau a caché certaines choses de ma mémoire. Quelques jours plus tard, j’ai rendez-vous avec l’homme pour rédiger le constat. La voiture n’a pas grand chose en réalité. C’est alors qu’il me raconte ce qu’il a vu. Il était alors arrêté tandis que le camion roulait à vive allure à coté de lui. Il m’a vu passer. Il me raconte alors comment j’ai tapé dans les roues avant de la remorque. Il s’en est fallu de peu que je passe dessous. A quelques centimètres près, j’étais réduit à l’état de bouillis. Il me confie avoir eu très peur à ce moment là. Je réalise alors ce qui vient de m’arriver. D’un état post-traumatique, je plonge dans l’obscurité. J’ai l’impression d’être mort. Pendant trois jours, je vais rester dans cet état. Déconnecté de la vie. Et puis je finis par prendre le dessus. Je marche en boitant, mais tout va bien. Je ne peux bien sur pas tout mettre sur le compte de cet accident, mais je n’avais pas du tout l’esprit à passer des examens. Cette fois, c’était devenu irrattrapable. Pire que cela: j’avais perdu l’envie de me battre. Mes études me semblaient dérisoires. Cet accident a été un moment charnière de ma vie, notamment dans ma carrière. Ou bien cela n’a fait que révéler quelque chose qui était latent chez moi dans mon processus de passage de la science à l’art.