L’histoire de cette homme et de cette faute d’orthographe sont connues d’une majorité de français. Non pas pour ce meurtre sordide encore à ce jour non-élucidé, car, hélas, il existe tant de faits divers tout autant décourageant sur la nature humaine. Ni pour le combat autour de l’affaire, avec maitre Vergès voulant l’instrumentaliser pour en faire une nouvelle affaire Dreyfus version musulmane dans un dernier élan pour entériner définitivement son nom dans l’histoire. Mais bien pour cette faute d’orthographe digne d’un élève de primaire, et qui a été déclinée à l’infini dans le folklore populaire. Si bien qu’en réalité, cette histoire n’a pas dépassé le cadre de l’hexagone.
Je suis tombé sur cette phrase au moment même où je me posais de nombreuses questions sur l’Islam et sur la scission entre les sunnites et les chiites. J’ai donc investi du temps à étudier la période des khalifa rachidun (califes bien guidés) selon les deux points de vue. Chronologiquement, c’est bien sur une parole qu’aurait eu Omar (le deuxième calife), durant les derniers jours de Muhammad, que commence la divergence. Malgré l’image dorée que les musulmans veulent bien donner à cette période, en opposition aux périodes qui ont suivi et qui ont vu l’apparition de dynasties illégitimes, lorsque l’on commence à la découvrir on se rend vite compte qu’elle est loin d’être si bénie que ça. Si l’on fait abstraction d’Abou Bakr qui est mort de maladie assez rapidement, nous arrivons à un terrible constat: les trois autres califes sont tous morts assassinés et parfois de manière très violente. Cette période s’est achevé par l’exécution d’une grande partie des descendants de Muhammad comme le pleurent les chiites. Je ne vais pas rentrer dans les détails, il appartient à chacun de faire ses propres recherches sur le sujet. La conclusion s’impose d’elle-même: ce n’était pas une période de paix. Mais nous ne devons pas le déplorer. C’est ainsi. L’histoire des premières communautés chrétiennes que j’ai étudié soigneusement est aussi très trouble et est en rupture totale avec l’image que l’on peut se faire du christianisme moderne. Il est toujours important d’observer un groupe d’humain dans le contexte qui est le leur et de s’efforcer de ne pas y apporter une vision biaisée par notre contexte. Je pense d’ailleurs, et je ne crois pas trop m’avancer en affirmant cela, qu’il est virtuellement impossible d’analyser correctement un groupe du passé, même muni d’une documentation extrêmement précise. Les données factuelles ne peuvent dépeindre avec précision la réalité de ce qu’était le quotidien de ces hommes. Leurs préoccupations, leurs angoisses, ce qui les divertissait, ce qui les faisait rêver, bref, tout ce qui trainait dans les têtes, toutes ces banalités échangées et qui ne seront jamais consignées par écrit parce que considérées comme futiles mais qui font l’âme de la communauté. Bien sur, ils étaient pieux. Lorsque l’on est aussi proche d’une révélation aussi puissante, comment l’être moins? Mais que sait-on réellement de la compréhension qu’avait de Dieu l’individu moyen, l’anonyme, celui dont la vie n’est inscrit dans aucun des livres des hommes? Peut-être que parmi ceux-là, il y avait des hommes au comportement exemplaire et que Dieu chérissait. Et parce qu’ils n’étaient pas au contact direct de ceux qui faisaient l’histoire, nous ne saurons jamais leurs histoires. Tant de choses qui nous sont interdites. Nous ne pouvons que tenter de les approcher, mais nous ne comprendrons jamais de l’intérieur.
Vous comprenez, bien sur, où je veux en venir. Muhammad a reçu la Révélation et a agi comme un homme de son temps au milieu des hommes de son temps. Sa compréhension était donc orientée, contextualisée. Dans le Coran, il est dit qu’il a reçu, comme tous les autres prophètes avant lui, le Livre et la sagesse (hikma). La sagesse ne s’apprend pas dans les livres. Elle ne se formule pas avec des phrases. La sagesse ne peut pas être un don. La sagesse est le fruit d’une lente maturation. Elle est faite de rencontres, d’épreuves, de réflexions, de joies, de peines, de tout ce qui compose la vie d’un être humain. Personne à part Dieu ne peut avoir une perception totale de cette infinité de choses qui façonnent la sagesse. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la majorité des prophètes débutent leurs ministères à l’age de 40 ans. C’est l’age de la maturité. Le corps est toujours robuste et l’esprit est clair. Que savons-nous de ce qui a forgé la sagesse de Muhammad avant ses 40 ans? Un récit factuel. Sans compter que les écrits reflètent toujours la pensée de l’auteur et que lorsque l’on a la charge de la transmission de l’histoire de la vie d’une personne choisie par Dieu, il est inévitable d’en faire ressortir uniquement que le meilleur. Personne ici-bas, à notre époque encore moins, même avec la meilleure volonté du monde et la meilleure documentation ne pourra réellement connaitre cet homme. J’imagine que nombreux sont ceux qui ont du écrire sur le sujet, et bien mieux que moi. Je ne vais donc pas m’étendre.
La sagesse, donc, est une matière vivante en perpétuelle évolution. Cette sagesse qu’a donnée Allah à Muhammad s’est diffusée au travers de ses compagnons. Sans compter celle qu’a donnée Allah directement aux compagnons. Le choc de la Révélation a été un moteur puissant de transmission avec le Coran comme ossature. Bien entendu, cette sagesse est restée une matière vivante. Une matière humaine. Muhammad savait que ce moment de grâce allait s’estomper avec le temps. Il parlait des premières générations. S’il était réaliste quant à ce phénomène, il était aussi conscient de ses propres limites de compréhension et du contexte. Face à la consignation par écrit de ses faits et gestes, il eut une réaction très saine et ce sera le seul hadith que je citerais: « N’écrivez rien de moi, excepté le Coran. Quiconque écrit autre chose que le Coran doit l’effacer. » (Ahmed, Vol. 1, page 171, et Sahih Muslim, Zuhd, Livre 42, Numéro 7147)
L’Islam est une religion vivante. Ou plutôt l’Islam est la vie. Et aussi idiot que cela puisse être écrit: La vie, ça se vit.
Cela signifie que la sagesse ne s’apprend pas dans les livres, la sagesse se vit. Un musulman seul, perdu dans ses livres, est comme celui qui parlerait une langue morte.
La sagesse qu’a reçu Muhammad est un point de départ, une référence. Elle ne saurait être décrite par des livres fait de mains d’hommes. Allah nous prévient de cela. Les juifs ont écrit le Talmud, qui était en réalité la tradition orale héritée, et en ont fait une écriture supplantant la Torah. Ils ont totalement dénaturée le concept même de sagesse. Les fameux scribes et pharisiens. Ceux qui ont compilés les hadiths ont agit de même. Ils ont ôté la sève de l’Islam.
Enfin, ceux qui dans chaque acte de la vie courante, n’ont de cesse que de se référer aux hadiths en disant: Muhammad a fait ceci, Muhammad a dit cela, et ils sont la grande majorité, font de l’Islam une religion morte. La compilation de hadith va encore plus loin que le Talmud, puisqu’elle fait de l’Islam une religion morte née. Je ne parle même pas des faux hadiths, qui sont légions, et qui servent aux détracteurs de l’Islam pour le calomnier et à des savants qui n’ont plus qu’une pierre dure à la place du cœur d’émettre des fatwas monstrueuses. Dans la société moderne dans laquelle nous évoluons, le cocktail détonnant des hadiths et du choc des civilisations a fait de l’Islam un monstre qui au final sert les intérêts de nos castes dominantes. Combien de convertis sont laissés de coté par les anciens à cause de divergences théologiques entre jeunes et anciennes générations? Sans compter l’emprise qu’ont les pays arabes sur les mosquées. Le phénomène est complexe. On ne peut saisir vraiment l’ampleur de la situation qu’au milieu de la communauté. Redonner à l’Islam sa sève, c’est briser nos chaînes.
Des chaines, il y en a attachées à chaque hadith. Elles trahissent l’interdiction. Qui a levé l’interdiction? Le huitième calife omeyyade, un certain… Omar.
Au moment où j’achevais la rédaction de ce texte, Allah est venu, par le biais de mon colocataire qui ne sait pas lire le français et ne peut donc pas savoir ce que je fais, confirmer mon propos. En effet, il a mis une vidéo d’un sheikh qui récite le Coran à la manière d’AbdulBasit Abdessamad. Encore un qui croit qu’en mettant les mains autour du visage, en portant un chapeau et en changeant de tonalité, il va reproduire l’émotion que l’homme transmettait. Rien qu’un singe. En plus, malgré le fait que le récitant n’avait pas une jolie voix, ils étaient nombreux à l’écouter et à l’apprécier. L’humain est parfois consternant.
Notes:
Scribes et pharisiens:
https://www.youtube.com/watch?v=Z7XnNt_ZWms
Omar II (surement un très bon calife avec son peuple et qui crut bien faire en autorisant la compilation des hadiths):