5 décembre 2013, 22:22
Ce jour là, le lendemain du bal des papillons du 26 novembre 2011, je sentais que plus rien ne serait comme avant. Après deux semaines à côtoyer le campement, ce dimanche, je constatais que j’étais devenu attaché à ce mouvement. Nous nous avancions dans l’hiver, le parvis était balayé par le vent et malgré cela, l’enthousiasme était à son comble. Cette folle énergie qui animait les indignés et qui les avait poussé à défier le système en construisant cette sphère sur le parvis, ne pouvait pas prendre fin. Oui, les CRS avaient chargé dans la nuit et avaient tout dévasté. Mais en réalité, le pouvoir venait de sonner son propre glas en sombrant dans la violence. Les indignés étaient bien au dessus de ça. Ce dimanche là, tout le monde à présent le comprenait. Cette sphère n’était rien pour eux et pour ceux d’en face, elle était un symbole de leur impuissance. Dès lors, tout a été mis en œuvre pour détruire le mouvement des indignés de l’intérieur.
Comme je me plaisais à le souligner dans un précédent texte, je n’aimais pas les AG (assemblée générale). De longues heures pour parfois entendre des monologues. J’oscillais entre l’impression d’entendre toujours les mêmes voix et de perdre mon temps. J’étais beaucoup plus friand des discussions passionnées entre 2, 3 ou 4 personnes maximum. Certains prenaient la parole régulièrement et montraient une certaine agressivité. L’un d’eux s’employa à vociférer à l’encontre des forces de l’ordre. Il ne voyait pas d’autre solution que la violence. Il souhaitait passer outre le consensus de non-violence décidé par le groupe. Peu de réaction dans l’assistance. J’étais outré et je décidais de l’aborder après sa prise de parole pour lui demander des comptes sur son comportement. Tous les gens à qui j’avais parlé, de tous horizons, age, sexe, niveau social, avait eu un bon contact avec moi. Je m’étais découvert une réelle faculté à échanger avec n’importe qui. Pour la première fois, je tombais sur une personne hostile. A vrai dire, je ne comprenais pas la réelle motivation de cet individu à poursuivre sa lutte au sein du groupe des indignés aux principes clairs sur les moyens employés. En poursuivant la discussion tant bien que mal avec lui, je me retrouvais entouré de ses amis. J’ai bien vite compris que j’étais au milieu des rouges. Des rouges vifs. Heureusement ses camarades étaient plus disposés à me parler. Je voulais comprendre ce qui les animait alors je les ai côtoyé. Certains m’abordaient en me pensant l’un des leurs. Une sorte de confrérie.
Et puis nous voilà un autre dimanche. Il pleuvait. Le groupe était monté en haut des marches de la Grande Arche pour s’abriter et tenir une AG. Il était question de la mise à l’écart d’un homme. En réalité, j’assistais à une espèce de procès populaire où la parole semblait monopolisée par un certain type d’opinion. Il était reproché à cet homme, dont je n’avais jamais entendu parler avant, d’être d’extrême droite. A vrai dire, je n’avais jamais fréquenté de gens impliqués dans ce courant politique. J’avais donc le même à priori négatif que la personne lambda. Néanmoins, quelque chose me chiffonnait: j’entendais à longueur de temps que les indignés n’accordaient pas d’importance aux idées politiques, à la religion, aux groupes de manière générale. Chacun venait comme il était. Et là, il était question d’exclure l’un de nous. Je me suis mis à l’écart tout en écoutant d’une oreille. J’ai alors fait la connaissance de celui dont on faisait le procès. Il est arrivé par « hasard » à coté de moi. Il était décomposé. Sa prétendue couleur politique ne m’attirait pas une seconde mais je ne pouvais rester insensible à la détresse de cet homme qui visiblement, n’avait pas trouvé de réconfort jusqu’ici. Je me mis donc à l’écouter et à essayer de comprendre ce qui lui était reproché. J’ai compris qu’il était ce qu’on peut appeler un complotiste. Je n’aimais pas trop ce genre d’idée et bien des choses qu’il me racontait agissaient chez moi comme un repoussoir. Mais quand bien même les idées de cet homme étaient à l’opposé des miennes, je ne pouvais accepter qu’il soit mis à l’écart de cette façon là. J’ai tenu à ce qu’il me fasse un sourire avant de partir. C’est ce qu’il a fait et j’étais rassuré.
Cela faisait déjà plusieurs jours qu’une idée me trottait en tête: comment fédérer l’énergie de tous ces âmes dressées contre le système en dépassant les clivages politiques? Je me suis alors lancé dans une espèce de modélisation du champ des opinions politiques. Cet après-midi là, une composante essentielle m’est apparu en tête: la spiritualité. J’avais compris que cette donnée était indépendante de la couleur politique et qu’elle était capable de réunir des hommes sous une même bannière. Il me fallait trouver une méta-religion, une religion qui englobe toutes les autres, ainsi que les athées. Créer une nouvelle religion était illusoire, il fallait composer avec ce qui existait déjà. Il fallait trouver un lien, un dénominateur commun entre toutes, et le sublimer.
La période du campement était presque fini. Le marché de Noël nécessitait l’évacuation définitive des indignés du parvis. Chacun rentrait donc chez soi. Plus ou moins. N’ayant plus la possibilité de m’exprimer oralement avec les inconnus, le temps était venu de changer les choses autrement et je me suis donc assis devant mon ordinateur. Je ne connaissais absolument rien de la religion, je suis donc allé tout naturellement sur Wikipédia.
Samedi 17 décembre. L’anniversaire de l’immolation de Mohamed Bouazizi. Les tunisiens avaient amenés des instruments et chantaient. Un moment riche en émotion. La place, un petit triangle de béton flanquée de quelques arbres derrière le parc Montsouris, avait été renommée place Bouazizi par la mairie de Paris quelques temps auparavant. Ensuite, nous sommes allé dans la résidence universitaire de l’autre coté du parc, pour y tenir une AG un peu particulière: une AG bilan du mouvement. Très vite, j’ai perçu une ambiance totalement différente à l’habitude. L’AG était dirigé par un groupe de personnes plus âgées que la moyenne que je n’avais jamais vu jusqu’ici. Je me demandais bien quelle légitimité ils avaient. J’ai ressenti une sorte de malaise. Depuis un moment, je fréquentais un indigné un peu agité mais qui me touchait par sa sincérité. C’était un garçon à fleur de peau. Tout à coup, en plein milieu de l’assemblée, il s’est mis à hurler. Il était hors de lui. Il comprenait ce qui se passait et le faisait savoir. A vrai dire, il m’a fait peur, car je connaissais la violence frustrée qui l’animait. Mais au fond, j’étais d’accord avec sa réaction.
Le mouvement avait été récupéré, là, sous nos yeux, tout tranquillement. Il n’y avait plus rien à espérer des AG ou des groupes de travail. Les indignés ont donc existé en tant que manifestations plus ou moins organisées après cet instant. Tandis que l’aventure continuait sous une autre forme pour moi: je « réinventais » le concept de laïcité.
Il m’était impossible de saisir que j’œuvrais alors pour mon pire ennemi.
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