24 avril 2013, 23:23
Quelque part entre l’hiver et le printemps, je me donnais des airs intelligents dans le quartier des mécontents. Ils sont nombreux ceux qui tentent d’arrêter les passants pour les sensibiliser à leurs causes. Des présidents renversés, des révolutions manquées, des massacres non-télévisés, des arbres arrachés par milliers, de la nature bétonnée… Paris, c’est là où tout se fait. En Afrique, en Asie, au moyen-orient. Alors pour défaire les choses, il faut s’attaquer au coeur du système. Tous l’ont compris. Si le Samedi, on se donne des airs de vouloir changer le monde, il est de bon ton d’aller traîner du coté de la fontaine des innocents. Alors j’ai voulu me donner des airs, comme tout le monde. Cet après-midi là sur une dizaine de mètres, on pouvait voir les photos de martyrs de la révolution tunisienne. Des photos de famille, d’identité, de portraits académiques et aussi de cadavres ensanglantés. A chacun sa trace. Alors je me suis donné un air grave et j’ai regardé les photos, j’ai lu les noms, j’écoutais vaguement les conversations. J’accédais au statut de rebelle, comme ça, en quelques secondes, presque sans effort. Le sang tache aussi à travers les photos. Je n’ai jamais méprisé les gens qui passent indifférents. Non, moi je suis le vrai martyr par procuration. Ces morts là sont à moi. Avec un peu de chance, je vais bien finir par récolter un mot d’admiration pour tout ce dévouement. « Tu as du feu? » me fait la silhouette devant moi. Me demander du feu à moi. Et en un moment pareil. Il n’y a donc pas de respect pour ceux qui veulent changer le monde? En plus à son age, il ne devrait pas fumer ce gamin. En fait ce n’était qu’un prétexte, le gamin ne s’en va pas et continue à me parler. Visiblement, changer le monde, il s’en fout. C’est pas son truc. Il me demande mon prénom et mon age, les questions qu’on pose comme ça. C’est alors que je remarque ses ongles rongés jusqu’au sang. Un être torturé. Je masque mon étonnement en apprenant que c’est une fille. Elle a 19 ans. Elle s’appelle Déborah. Dans la vie, elle fabrique des enveloppes. Je commence à m’affaisser sur moi-même. L’intellectuel de pacotille que je suis, n’est pas armé pour parler. J’ai un cerveau à stimuler moi. Mon coeur est enfermé à double tour, il ne demande rien à personne. Je ne suis pas là pour ça. Désolé, circulez, il n’y a rien à voir. Mais tout ça, elle s’en fout, je lui plais, et elle me le fait savoir. C’est pas souvent que j’ai l’occasion de mettre des râteaux. Dans notre société bien ordonnée, on a plus besoin de mettre des râteaux. Il existe des codes. Il n’y a qu’à les respecter. Les chats avec les chats, les chiens avec les chiens. On s’est pas usé pendant des milliers d’années à mettre au point des codes tacites pour s’assembler pertinemment pour que tu viennes tout nous casser en cinq minutes. Eh bien si, elle a osé. Les codes, les accords tacites, elle s’en fout. Elle a envie de moi. Un point c’est tout. J’ai aussi oublié de vous dire que je sais pas dire non. Non, je ne parle pas de sexe en particulier. Je parle en général. Je ne sais pas dire non. D’ailleurs je ne sais pas dire oui non plus. Venez pas m’emmerder avec vos questions. Pour qu’elle s’en aille, ce serait simple: il suffirait de lui dire qu’elle ne me plait pas. C’est la simple vérité après tout. Mais non, je ne sais pas dire ce genre de chose. Habituellement, faire comprendre ça suffit. Tout le monde comprend. Mais là non. Elle ne veut pas partir. Je lui explique que ça ne marche pas comme ça, qu’il faut discuter avec la personne, passer du temps… quel menteur je suis, je n’ai pas toujours dit ça… et puis au bout d’un moment si les deux personnes se plaisent alors elles font un bout de chemin ensemble. Hum… je brode un peu là, mes souvenirs ne sont pas aussi précis. Non. Avec elle d’habitude ça ne se passe pas comme ça avec les garçons. On s’aborde, on se demande son prénom et puis on va chez l’un ou l’autre. Je viens de m’affaisser encore d’avantage. Je sais que je ne m’en tirerai pas facilement. J’ai des comptes à régler avec le Patron là-haut sur le sujet. Il sait y faire pour se faire comprendre. Nul doute là-dessus. « Tu viens? » Quelle horreur. Mais comment peut-on se nier à ce point? J’ai la tête qui commence à tourner. Elle insiste encore et encore. Je ne les trouverai donc jamais ces maudits mots? Et puis arrive une vieille femme sur sa canne qui s’arrête devant nous. Pourquoi nous? Elle a le regard dure. Elle tient fermement sa canne comme si elle allait s’en servir pour attaquer. Les grand-mères noires des îles, c’est coriace. Et puis, ça n’a pas sa langue dans sa poche. Me rappeler son prénom? Impossible. Tout ce que je sais, c’est qu’elle disait avoir été une soeur. Surement protestante. Le mot seigneur est vite sorti de sa bouche et elle s’en est vite pris à la jeune fille. Comment a t-elle compris? Je suis resté bouche-bée. Avec des mots simples, des expressions enfantines, elle condamne la fornication. Le message passe sans coup férir. La fille se cache derrière moi, elle a peur de la vieille femme et de sa canne. Je me dis que je suis sauvé, que je vais pouvoir m’en aller, qu’elle a compris. La soeur s’en va en maugréant. « Tu viens? Allez, viens! » Raté. Il va falloir que ça sorte. Nous ne pouvons pas rester dans cette situation. Nous voilà devant la porte d’un magasin de fringue. Samedi après-midi, autant dire qu’il y a du monde. Mais à Paris, qui regarde qui? On est jamais plus seul que dans une foule aussi dense. Il a fallu que ça sorte, je me suis fait violence. Elle s’est effondré en pleurant sur ma jambe. Ce qui restait de moi a du suivre le mouvement. Je n’ai pas les mots, je ne sais pas y faire. C’est moi le débile dans l’histoire. Heureusement, quand les gens sont au fond du trou, j’ai un sursaut d’humanité, alors je l’ai consolé. Cette fois, elle a vraiment compris. Je l’ai accompagné au métro. Elle était fière d’être à mon bras, je le sentais bien. Pour quelques secondes, j’étais à elle. Elle à qui on ne donne rien. Je lui ai dit qu’on serait ami. Qu’auriez-vous dit à ma place? Elle a disparu. Et là, je me suis retrouvé face à moi-même et à mon passé…
Luc 15
11 Il dit encore: «Un homme avait deux fils. 12 Le plus jeune dit à son père: « Père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir ». Et le père leur partagea son avoir. 13 Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout réalisé, partit pour un pays lointain et il y dilapida son bien dans une vie de désordre. 14 Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans l’indigence. 15 Il alla se mettre au service d’un des citoyens de ce pays qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. 16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre des gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui en donnait. 17 Rentrant alors en lui-même, il se dit: « Combien d’ouvriers de mon père ont du pain de reste, tandis que moi, ici, je meurs de faim »! 18 Je vais aller vers mon père et je lui dirai: « Père, j’ai péché envers le ciel et contre toi. 19 Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers ». 20 Il alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié: il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. 21 Le fils lui dit: « Père, j’ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils » 22 Mais le père dit à ses serviteurs: « Vite, apportez la plus belle robe, et habillez-le; mettez-lui un anneau au doigt, des sandales aux pieds. 23 Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, 24 car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé ». Et ils se mirent à festoyer.
25 Son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il approcha de la maison, il entendit de la musique et des danses. 26 Appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que c’était. 27 Celui-ci lui dit: « C’est ton frère qui est arrivé, et ton père a tué le veau gras parce qu’il l’a vu revenir en bonne santé ». 28 Alors il se mit en colère et il ne voulait pas entrer. Son père sortit pour l’en prier; 29 mais il répliqua à son père: « Voilà tant d’années que je te sers sans avoir jamais désobéi à tes ordres; et, à moi, tu n’as jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. 30 Mais quand ton fils que voici est arrivé, lui qui a mangé ton avoir avec des filles, tu as tué le veau gras pour lui »! 31 Alors le père lui dit: « Mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. 32 Mais il fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé »».